jeudi 23 avril 2009

Chapitre 7

Chapitre 7

Une dernière valse à trois temps



Malgré mes soucis quotidiens, réels et d’une vulgarité déprimante, je parvenais tout de même à conserver un équilibre précaire mais suffisant pour me cacher dans la masse des anonymes et des disciplinés.
J’avais appris malgré moi à me dissimuler derrière un sourire amical, élevant des falaises d’humour pour que l’assaillant au regard investigateur, ne puisse jamais découvrir l’étendue des terres qui se cachaient là, sauvages et accueillantes, balayées par les vents de la passion et du désir.
Ne plus jamais laisser ce royaume affectif à la merci de quelque conquistador ou autre aventurier trop entreprenant que ce soit, ne plus laisser l’autre me réduire à ce terrible et pourtant si tentant esclavage des sens, d’où je ne pourrais me libérer qu’au prix de douloureux sacrifices, au terme d’un combat intérieur où la raison et le cœur viendront une fois encore à s’affronter, et dont je serais l’unique victime.

Schizophrène équilibriste, à la limite de la rupture entre deux univers distincts, que seul un câble trop fin tente de relier, et qui à la moindre hésitation, à la moindre défection de mes défenses de fumées, risque de se rompre, me plongeant vers ce gouffre où la solitude me guette amoureusement, où la perfide aliénation sera ma dernière amie, et ne me laissant presque jamais en paix, ne m’autorisant que trop rarement à retirer mon masque.
Clown triste au regard perdu, ne fixant jamais l’autre de peur de lui révéler un terrible secret : j’existe…

Alors continuant mon tour de piste sous les rires de l’assistance conquise, je pleure sous mon fard, je laisse mes derniers espoirs dans ces soirées où il ni a rien à espérer, rien à attendre, si ce n’est que le carillon résonne et que je puisse enfin m’enfuir avant la transformation mais surtout, surtout en ne perdant pas mon soulier de verre. De trace je ne vous offre que ce souvenir joyeux et cet ultime sourire rassurant, pas d’inquiétude tout va bien, je vais bien et l’ordre établi ne sera pas bouleversé.
Pas ce soir, pas ici, pas avec vous…

Cette nuit quand vous vous endormirez après avoir goûté à la chair de vos compagnons ou autres amants, je serais encore là, sans aucun artifice, seul face à mon âme miroir et tant bien que mal je panserais mes plaies et dans un dernier rire, je laisserais venir à moi ces sanglots, ultime cri nocturne, pour garder cet infime espoir que tôt ou tard, mais avant qu’il ne soit trop tard, mon regard plonge dans celui d’une âme amie, juste pour ne pas regretter tout ce temps passé à laisser ces soupirs envahir mon attente solitaire.

Si parfois quand l’aube s’infiltrait doucement à travers les fentes de mes volets, dévoilant juste-là, près de moi, le corps assoupi, d’une déesse déchue, d’une princesse sans royaume où d’une fille égarée, mon cœur ressentait une forme de plénitude que le silence de ces matins rendait follement romantique, mon âme elle se faisait toute petite, se dissimulant tant bien que mal loin de mes yeux, juste pour m’offrir ces moments de répits, tant l’issue paraissait évidente et bien trop connue.

Si par le passé j’avais cette force de croire en l’autre, en l’amour qu’elle pouvait me porter et l’affection qu’elle voulait bien m’offrir et dont la gratuité multipliait toute la valeur, au fil des années, j’ai enfin compris que cela ne durerait pas et que le coté éphémère de ces offrandes, ne m’apporterait que d’immondes regrets et de terribles questions.
Jamais je n’ai su conquérir une fille en lui offrant la moindre parade amoureuse, le moindre numéro de prestidigitateur ou une longue litanie emplit de flatterie simplement guidée par un désir pour cette affolante chair. Même si à une époque presque oubliée, j’étais un manipulateur sans vergogne, un être aux plans machiavéliques et aux fabuleux mensonges, n’épargnant aucune douleur à mes victimes féminines quand mon plaisir était repu.
Mais cela ne dura qu’un temps, tant ce personnage n’était pas moi et me détruisait lentement, annihilant toute spiritualité que mon âme s’efforçait de conserver.

Dragueur jamais je ne le fut mais probablement un charmeur, captivant l’attention par mes mots, mes silences ou mes regards.
Comme une danse sensuelle où l’effleurement tant physique que du simple regard, faisait naître une délicieuse et douloureuse attente qui me menait à des aventures passionnelles, violentes, sans concessions, dont la folie des rapports et des désirs pulvérisaient toute retenue ou toute crainte.
Je ne sais pas pourquoi mais cette forme de combat amoureux, de guerre des sens est pour moi la seule façon de ne pas me souvenir que mon âme, elle, continue de soupirer, malgré ces moments purement charnel, malgré la puissance de ce sentiment.
Mais peut importe la relation qui pouvait me lier à ces filles, d’une nuit, d’une vie, au final la similitude de ces échecs m’amenait à mieux comprendre pourquoi jamais je ne pourrais atteindre cette forme de plénitude dont tant je rêvais. Toujours les mêmes mots…

Cette phrase, ce compliment au goût amer aujourd’hui qui avec insistance est venu s’échouer à mes oreilles au fil du temps. Comme un leitmotiv, une évidence aux yeux de certaines et qui, bien souvent me procurait un sentiment de plaisir inéluctable, à présent me répugne quasiment tant je sais ce que signifient ces mots.

Si au début je suscitais une forme de curiosité, un attrait pour toutes ces filles tellement habituées au jeu parfaitement réglé de ces mâles concupiscents, elles finissaient s’effrayer quand elles découvraient ce que je cachais en mon seins. Pourtant dès les prémices de notre relation, elles mêmes se réjouissaient d’une chose et n’hésitaient pas à me le dire à maintes reprises : j’étais différent, je n’étais pas comme les « autres »…

Cette « différence » tellement attirante et nourrissante au début et qui progressivement devenait une tare à leurs yeux.
Non cela n’était pas feins, je suis comme ça, parfois à la limite de certains clichés, parfois au plus haut du firmament de leur existence, tel un oiseau gigantesque planant au-dessus de leur existence, éteignant les astres et les étoiles de leur regard quand leurs paupières se refermaient sous l’insolence de mes baisers. Mais jamais je n’aurais pu devenir cet autre qu’elle espérait voir apparaître en moi, juste l’amant/compagnon, se complaisant à suivre le chemin de la monotone routine, mais dont l’âme avait besoin de se repaître de toutes ces émotions que nous aurions pu partager.

Mais dès que notre union incertaine et passionnée sombrait dans une officialisation trop insistante, face aux regards des autres, je me devais de tenir un certain rang.
Adieu, folie bouillonnante, maladresse déstabilisante, coup d’éclat inutile mais tellement amusant, silence partagés et complices face à l’océan démontée, sourires croisés quand au milieu de la nuit la neige venait à nous surprendre sous les lampadaires de ces rues désertes, adieu à tout ce qui faisait ma différence, juste pour endosser l’habit trop étroit de celui que je ne suis pas mais qui, dans ce travestissement, rassurerait les autres, juste ces inopportuns qui ne sont rien pour moi, qui ne sont que d’inutiles planètes gravitant autour de l’astre de feu qu’était celle que j’aimais.
Mais pourtant cela suffisait à mettre fin à ses rêves, bien que mes sentiments jamais ne se soient voilés d’aucune tromperie, mes lèvres jamais ne se sont égarées dans des nuits d’infidélité, sans que finalement cela ne soit d’aucune valeur lors du procès final.

Je suis un freaks dont l’apparence attirante cache un être dont les aspirations, de par leur pureté et leur puissance, effrayent les autres. Jamais mon corps ne se satisfera complètement de la moindre caresse, aussi douce et aussi perverse puisse-t-elle être, si mon âme ne se reconnaît pas dans le miroir amant de ma compagne.
Trop souvent j’ai délaissé cette partie de mon être, renfermant pourtant mon plus précieux trésor, fragments de poudre de perlimpinpin et morceaux d’étoiles filantes ramassées lors de mon enfance, qui jamais ne se laisseront flétrir, qui jamais ne me quitteront au risque de me perdre à jamais…

La vie très tôt m’a entraîné dans une valse à trois temps.
Sur le premier pas l’esprit menait la danse, s’émerveillant par la découverte de la volupté de ces corps et le goût de ces filles, fleurs sauvages et dangereuses aux milles senteurs mais dont les épines pouvaient vous déchirer les chairs jusqu’aux larmes éphémères.
Sur le second pas, le cœur conduit la danse, accélérant le mouvement, amplifiant les sensations, promulguant la passion au rang de divinité et cherchant bon nombre de voie étoilé dans le regard de ces filles aux corps déjà connus mais révélant à chaque fois un nouvel univers dont la valeur inestimable ne pouvait que le briser lors de sa perte.
Au troisième pas, l’âme impatiente après une si longue attente et avide de cette valse, se retrouvait bien seule au milieu de cette piste, où malgré le rythme entraînant de la musique viennoise, n’avait pour compagne à guider que la solitude et le désespoir.
Rien, ni personne pour enlacer ces merveilleuse sensations à venir, où la passion enflammerait ce nouvel univers, entremêlant soupirs et chuchotements, silences et regards pour enfin apparaître dans le miroir des yeux, portail magique où les trésors de l’enfance brillent de mille feux et enfin retrouvent tout leur sens cachés.

Il y a là-bas cette fille, si proche mais pourtant encore si loin de moi, dont le regard m’invite à la danse, dont le premier pas m’entraînera vers cette cavalcade joyeuse ou peut-être sur le second j’entrerais dans cet univers féerique et désirable mais dont le dernier pas risque d’être encore une fois celui de trop, trop difficile a exécuter, trop intime pour l’accepter.

Cette fille au regard sombre dont l’éclat déjà ne me quitte plus, ne sera peut-être pas mon miroir, mais déjà j’entends l’orchestre se mettre en place et la douce mélodie des violons parvenir jusqu’à moi…

dimanche 12 avril 2009

Chapitre 6

Chapitre 6

Au commencement...



Aussi loin que je me souvienne, je n’arrive pas à me remémorer une période de ma vie où j’aurais pu affirmer sans la moindre hésitation que j’étais heureux, où que tout du moins ce sentiment faisait parti de moi.

Juste pour pouvoir me rattacher à quelques vieux souvenirs au goût de bonheur, pour réussir à attraper au vol un sourire salvateur, quand la nuit froide et solitaire vient à me torturer plus que de raison, enfonçant ces longs doigts décharnés au plus profond de mon être, tournant et retournant ces moments cruels où je n’étais rien, seulement une âme perdue flagellée jusqu’au sang par la trahison et le mensonge, par l’incompréhension et la frustration.
Quand l’insomnie vient à s’inviter au cœur de ma nuit, mon esprit cherche en vain à repousser ses assauts destructeurs, se cachant derrière ces instants perdus de l’enfance, quand tout était insouciance, que le monde semblait un vaste terrain de jeu excitant et effrayant, que les adultes semblaient être un refuge accueillant et salvateur contre les doutes et les peurs nocturnes mais où, très vite, la vie allait m’enseigner certaines leçons, que même si je ne comprenais pas le sens profond alors, allaient définitivement changer le petit garçon que j’étais, l’adulte que je suis à présent.

J’étais né à Paris un bel après-midi de 1969, de parents espagnols ayant émigrés pour diverses raisons et ayant fini par se rencontrer dans la grande capitale, allant jusqu’au mariage, chose parfaitement normale à l’époque mais qui au final fut source de bien de regrets et de douleurs pour ma mère, bien que l’amour que mon père lui porta sa vie durant fut sans faille.

Mais il ne suffit pas d’aimer pour que l’autre soit heureux, il ne suffit pas de quelques mots ici où là dispersé par le souffle de la vie pour que ce puissant sentiment offre un partage pouvant combler les aspirations d’un cœur. Oui mes parents s’aimèrent sincèrement, mais aussi loin que je porte mon regard d’enfant, d’adolescent ou d’adulte, rares sont les moments où je les vis heureux ensemble…
De cette période de ma vie, embryonnaire tant mes souvenirs sont rares, je garde ici où là quelques images, celle de ma mère partant faire quelques courses à l’épicerie proche et qui s’arrêtait en chemin pour me faire un petit signe de la main, signe que je guettait avec une certaine impatience, posté derrière la fenêtre de notre petit appartement dont je ne garde pas le moindre souvenir. Autre image celle de mon père repartant à son travail après le déjeuner prit à la maison et qui lui aussi nous saluait avec un large sourire du bas de la rue, comme un enfant malicieux qui s’apprêtait à nous jouer un bon tour.

Derniers souvenirs de cette petite enfance passée dans la capitale et curieusement ces gestes d’au revoir, bien que joyeux, sont les seules traces vivant encore en moi, seules preuves de cette courte période de mon existence.
Suite à une déconvenue professionnelle de mon père, nous partîmes habiter un petit village mosellan où étaient déjà installés un oncle et une tante, qui permirent à mon père de retrouver, non seulement un emploi, mais également une partie de sa famille.

Curieusement dans la même région ma mère avait un frère dont l’épouse s’avérait être ma marraine, chose très mystérieuse pour moi, sans compter que j’appris le sens d’un mot que j’avais entendu souvent prononcé par mes parents : cousins.
C’est dans se petit village au nom de Manom, que je passais toute mon enfance, là dans ce cadre campagnard, au milieu des champs et d’une belle foret, non loin d’un petit ruisseau allant se jeter comme un amant follement épris dans la rivière s’écoulant à quelques mètres de là, que j’imprégnais mon corps et mon âme de nombreuses sensations à la fois merveilleuses et douloureuses qui lentement et de façon imperceptible, allaient façonner l’être tourmenté que je suis à présent…
Très tôt vers l’âge de 6 ou 7 ans, je fus amené à considérer l’amour d’un père et celui d’une mère, avec l’idée qu’ils étaient, non seulement différents, mais parfois antinomique.

Si jamais je ne pourrais reprocher à mon père son courage, sachant qu’il avait immigré après avoir perdu son exploitation agricole en Espagne après une terrible tempête, jour pour lui où il maudit Dieu et ses saints, tel un Vlad ibérique, se détournant définitivement de la sacro-sainte religion, dont pourtant son peuple était d’une ferveur presque idolâtrique et les heures de labeurs accomplis pour que notre famille ne connaisse jamais la faim, ni un certain niveau de confort, bien que peu élevé, mais suffisant pour garder la tête haute face aux regards des voisins et autres commerçant de notre village, trop rarement je fus l’objet d’une affection débordante de sa part.

Il était l’autorité, le bâtisseur de la route que je me devais de suivre sans le moindre questionnement et l’exemple même de la droiture, mais qui pour un petit garçon n’était rien d’autre que de la sévérité et parfois de la peur…..sentiment inexplicable car jamais il ne m’a frappé mais parfois certains comportements ou attitudes sont bien plus violents et bien plus marquants.
Jamais je ne lui ai avoué cela, même lorsque la mort se tenait à mes côtés quand je le veillais dans les derniers instants de son image symbolique de paternel, dernier pont entre un passé familial et l’orphelin que je m’apprêtais à devenir. Car il ne me restait plus rien d’autre depuis le décès de ma mère, juste cet homme qui dans ces derniers mois de souffrance fit enfin preuve d’une étonnante et désespérée affection à mon égard, allant jusqu’à m’avouer non seulement son amour pour moi, mais la gratitude et la fierté qu’il ressentait dans ces instants en voyant le fils que j’étais devenu. Mots terribles, destructeurs, pulvérisant mon être tout entier, tant la violence de ces déclarations allaient à l’encontre de tout ce que j’avais pus ressentir venant de cet homme, tellement présent dans ma vie, mais tellement étranger de toute forme de complicité partagée et du moindre geste de reconnaissance ou simplement d’acceptation de nos différences.

Pourtant dans son regard triste où l’épuisement avait déjà installé ses quartiers, il ni avait aucun doute concernant la sincérité de ses propos, aucune duperie où que sais-je encore. Cet homme, mon père, dont l’aridité du cœur semblait être un fait établi de longue date, n’avait en réalité jamais su, pu ou voulu laisser ses sentiments effleurer la surface de son regard ou laisser la moindre empreinte dans ses bras musclés peu enclins à entourer mon corps d’enfant d’une affection salvatrice…

Mon enfance ne fût pas un calvaire mais certains manques, certains évènements m’ont à jamais détourné de la voie que j’avais espéré suivre, de ce chemin peuplé de rêves innocents, de rire infiniment réparateurs et de découvertes merveilleuses dont chaque âme enfantine voudrait se repaître tant elles apportent de promesses et de songes fabuleux.

Malgré toute la tendresse d’une mère vouée à l’amour de ses enfants, toute l’abnégation de cette femme, dont la vie n’avait de sens que par ma présence, j’allais brutalement découvrir que la vie est une joueuse sadique, qui donne et prend comme bon lui semble, choisissant l’instant crucial où tout semble apaisé, où le sentiment de plénitude est au plus haut, pour frapper violement ceux qui se laisse à rêver, sans la moindre distinction entre les bourreaux et leurs victimes, offrant de douloureuses leçons qui resteront à jamais gravées dans le cœur d’un petit garçon, ne sachant pas ce que certains mots voulaient signifier, mais ressentant trop parfaitement les conséquences de ces moments indésirables, mais siens à présent.

Au cœur de mon enfance allait naître l’adulte que je suis, affrontant pour la première fois le sentiment d’exclusion, l’incommensurable besoin d’affection, l’existence du désir charnel et la découverte de deux fabuleux amis : la nuit, dangereuse et effrayante tant elle paraissait profonde et silencieuse, et le vent, complice et réconciliateur, tant il apaisait mes sanglots et séchait mon visage de ses chaudes larmes, trop souvent présentes dans ma mémoire.

Au cœur de l’enfance, j’allais découvrir la violence des adultes, les premiers mensonges inutiles et la proximité de la mort.

dimanche 5 avril 2009

Chapitre 5

Chapitre 5

Quelques fantômes, rien d'autre...



Même si certaines douleurs semblent parfois insurmontables, seules celles provenant de la perte d’un être cher le sont réellement. Non pas que toute autre forme de souffrance morale soit à négliger, mais au plus profond du doute, au plus proche de toute vérité, seule la mort est un fait tangible et invariable dans sa finalité et ses conséquences.

Après la mort, il ni a rien, juste un cadavre fait de chair froide et au regard inexpressif, juste un inconnu mais qui jamais plus n’influera sur le cours de notre existence et qui pourtant continuera à être bien trop présent, quand la nuit se fait longue et que la solitude se fait trop pesante.


Derrière la porte de la chambre, étendu sur son lit, semblant s'être assoupi, mon père gisait inanimé, parti loin de moi, trop loin de moi, auprès de ma mère. Me laissant seul avec ces innombrables regrets, toutes ces phrases inutiles et ces mots n'ayant plus aucun sens à présent. Sentiment étrange et troublant sur ce départ annoncé qui m'assaille dès à présent, brisant mes jambes de verre, effilochant mon cœur de soie et tissant autour de moi sa toile de vide affectif.


Pourtant je connais bien cette main glaciale qui lentement et cruellement, tel un chirurgien implacable n'ayant jamais connu Hypocrates, a vidé ce corps usé de toute vitalité. Doucement un voile est descendu sur son regard, comme le rideau à la fin d'une longue représentation dont l'impact et toute sa substance ne sera comprise que bien plus tard, trop tard.


La Montagne des Regrets que je croyais pourtant déjà avoir gravi au départ de ma douce mère, dans ce matin blême se dresse une fois de plus au loin, obscurcissant mon horizon, allongeant inexorablement ma nuit dans une morbide torpeur. Délivrance de sa geôle des douleurs dont la clé était enfouie au fond de ses entrailles, pour me laisser là face à ce corps inutile, vide et étranger.

Pourtant si tout cela ne m'était déjà plus inconnu, ce contact froid et rigide, cette odeur particulière imprégnant les pores de ma peau frissonnante et cette absence dans ce regard éteint, j'ai appris comme un élève trop doué et trop discipliné, que chaque douleur profonde à sa propre saveur et sa propre cohorte de fantômes languissants.

Même si les mots restent les mêmes, qu'ils sont vains et vides de sens, trop souvent ils ont raisonné dans ma tête :
Cancer, chimiothérapie, métastase, diagnostique, il faudra être courageux, vomissement, perte de mémoire, incapacité respiratoire, arrêt respiratoire, sincères condoléances, désolé, courage, nous sommes de tout cœur avec vous, il faudra être courageux...
Mais je ne veux pas être courageux, juste redevenir ce petit enfant pour me blottir, recroquevillé sur ces souvenirs et laissant mon âme blessée se vider de ces flots , noyant mes yeux, imbibant ma peau de leur sel, brisant mon corps par ces sanglots et ses soubresauts, non aucun courage juste se retourner lâchement et se laisser partir.


Malgré tout, dans une solitude intime et un mutisme émotionnel, il faut affronter les journées qui arrivent comme une punition, car l'enfant n'a pas été sage, car l'adolescent s'est trop élevé contre les murs de cette autorité suffocante, car l'adulte n'a jamais su comment justifier l'existence qu'il menait, empilant les erreurs et les déceptions sans jamais rien d'autre à offrir à ces parents amants que ses grands yeux tristes et ces rires parfois réconciliateur.
Puis quand le calme semble enfin revenir auprès de soi, quand la nuit vient lécher les vitres embuées de la petite chambre, ce n'est pas le sommeil qui se cache dans le trop grand lit vide et froid mais d'autres ennemis, bien trop présents dans mes heures lunaires.


La première fois la douleur et l'inacceptable disparition de ma mère m'avait amené une armée de fantômes lourds et lents dont chaque geste et chaque mot semblait être choisi avec une justesse et une cruauté abrutissante.
Comme une chape de plomb qui par son poids et son étendue, me poussant à bout nuits après nuits, semblaient vouloir s'extraire de mon cerveau par les yeux, par de petits et minces filets de larmes silencieuses......mais ne trouvant pas le supplice à leur goût, ces fantômes, renforcés par d'autres plus anciens, revenaient toujours plus forts et plus nombreux à chaque disparition de l'astre solaire, quand l'horizon s'embrase dans un ultime espoir désabusé, réduit en poussières célestes que dame Lune répand généreusement dans sa douce nuit.


Mais les fantômes qu'aujourd'hui je dois affronter, ne sont pas les mêmes, moins nombreux mais bien plus véhéments et plus soudains. Ils ne vivent pas en moi, encore trop de leurs amis décharnés hantant mon organisme, comme une véritable invasion bactériologique sans remède, mais se cachent autour de moi, là où mon regard, ou n'importe lequel de mes organes avides de sens, viendrait à s'aventurer avec un peu trop d'insistance. Sur ce fauteuil vide à jamais, face a cette télévision diffusant ces émissions déjà trop partagées ou dans cette cuisine où vers la fin de rares mais précieux rires défiguraient ce doux visages aride et épuisé.
Au moindre faux pas émotionnel, ces nouveaux ectoplasmes plantent leurs longues lances d'amertume au fond de mon cœur, là où les souvenirs et les regrets, dans une longue farandole, s'enlacent et se séparent pour mieux se fondre jusqu'à ne plus être dissociable.


Comme un enfant perdu, du sommet de mon château de papier, lentement je retire mes derniers soldats de plomb qui me préservaient encore, pour offrir les clés de ma place forte à ces envahisseurs, venus d'un lointain passé mais bien trop présent pour que je tienne encore ce siège incessant, connaissant trop intimement les moindres faiblesses de ma fortification de coton pour que je puisse négocier la moindre armistice et ne pouvant espérer aucune clémence, j'abdique sans aucune condition, acceptant cette servitude morbide sans aucun autre choix, ni aucun échappatoire.

Seul face à cette porte où déjà se pressent les hordes de fantômes, je baisse la tête et doucement je referme mes paupières, je clos mes yeux sur ces visages d'autrefois...


Rester là, aux côtés de ces êtres qui vous ont offert la vie et regarder la leur s’éteindre inexorablement, cacher ses larmes et ces inquiétudes abrutissantes, et ne rien pouvoir leur donner, si ce n’est cette présence, bien inutile face à la brutalité de leur souffrance.
Car cette mort n’est pas soudaine, mais d’une lenteur abjecte, comme si tout cela ne pouvait finir autrement….

Tenir leur main, comme si ce simple geste pouvait les retenir de l’attraction funeste, de cette ombre ténébreuse qui déjà voile leur regard épuisé, leur souffler quelques mots tardifs mais pourtant sincères en espérant que leur sens trouve encore une valeur dans leur esprit affaibli mais surtout, surtout s’aveugler les sens pour ne pas fuir comme le petit enfant que nous sommes face à tant de cruauté.

Mais la vie ne s’arrête pas à ses considérations intimes et douloureuses, elle poursuit son avancée vers un lendemain toujours plus pénible et difficile à concevoir, sans aucune envie, ni rien à partager, ni offrir.
Juste, comme par automatisme, se lever, s’appliquer aux taches routinières et si les regards se font trop pressant, juste détourner la tête, ne pas répondre à ces marques d’affection empreintes de l’immonde pitié, qui l’espace d’un instant, changera la douleur en une rage, amenant souvent l’incompréhension et parfois d’autres regrets.

Juste ne rien montrer, se barricader dans son château de sable, en guettant au loin, juste au bout de l’horizon, la vague qui engloutira mes ultimes défenses…