dimanche 17 octobre 2010

Chapitre 14 : Eternel perdant


Un samedi comme un autre, avec ses festivités semblables à tant d'autre et pourtant différent, surprenant mais n'apportant que son lot de confirmation et de certitudes.
Juste une soirée comme tant d'autres, au milieu d'une foule s'amusant, dansant au rythme d'une sono puissante, avec ses gens esseulés au bar faisant et défaisant leur avenir dans des volutes de tabac et des brumes alcoolisées.
Une nuit qui s'annonçait distrayante tout au plus mais qui au final s'avéra particulière car dame chance, maître hasard avaient décidés qu'il était temps que cesse certaines habitudes pour les remplacer par d'autres.
Cette fille que je croisais les lundi matin allait entrer dans ma vie, Stéphanie allait s'immiscer dans mon cœur...

Samedi soir, aux premières heures d'un printemps qui fit long à venir, un concert était annoncé dans un caveau d'une ville voisine.
Enjoy the Division, un groupe reprenant les standards les plus connus de New Order et surtout Joy Division, était en tête d'affiche.
Étant un fan du groupe de Ian Curtis, je décidais de m'y rendre avec un couple d'ami eux aussi appréciant ce style de musique.
Comme de toute façon je n'avais rien prévu ce week-end là, nous décidâmes de passer une partie de l'après-midi en ville, puis de dîner sur place avant de rejoindre la salle de concert.

Vers 21h00 le caveau était déjà bien rempli et le show ne démarrant que vers 22h, nous primes places sur des tabourets curieusement libres au bar.
Alors que nous dégustions tranquillement un verre, elle arriva.
Je la remarquais immédiatement et quand elle regarda vers l'endroit où je me trouvais elle sembla un court instant surprise mais ses yeux restèrent fixés sur moi, un sourire timide mais pourtant sans équivoque s'échappa de ses lèvres délicates.
Cet alors que je vis qu'elle n'était pas seule...
Mais le plus douloureux était que je ne fus pas vraiment étonné, certes un peu déçu mais tout cela semblait être tellement logique.

Depuis mon premier amour, quand avais-je eu la chance de rencontrer un amour simple, partagé et juste à moi ?
Je ne m'en souviens déjà plus...

A chaque fois j'étais simplement une pièce rajoutée, un passager de la pluie, l'avant dernière station, juste celui qui accompagnait ces filles sur la route de l'amour mais qui restait sur le bas-côté quand il fallait sceller l'avenir.
D'une fille attendant le divorce de son amant, de celle qui ne pouvait plus quitter l'existence qu'elle avait construit avec un autre, celle qui le temps d'une pause ou d'un souffle dans son union avaient goûter à certains souvenirs, certains regrets où certaines découvertes dans mes bras.
Mais à l'heure convenue, je ne pouvais faire autrement que de les laisser repartir vers leur vraie existence, restant seul pour affronter mes vieux  démons, messagers impitoyables de ma raison qui, une fois de plus, allaient se repaître des restes de mon cœur, lui infligeant une fois encore de cruels regrets et ses sanglots amers où la souffrance et l'incompréhension s'enlaçant jusqu'aux lueurs de l'aube.

Quand elle se retrouva au bar pour commander des boissons pour elle et son ami, nous échangeâmes quelques mots et dans son regard je vis ce curieux et attirant mélange de timidité et de joie. Je savais déjà que de cette nouvelle rencontre, un nouvel échec se préparait à cingler mes rêves, de nouvelles douleurs solitaires se tapissaient déjà à l'ombre de mon âme.

En observant son couple je réalisais à quel point je m'étais trompé, combien j'étais loin de toute vérité, depuis si longtemps et si profondément.
Comme si j'émergeais d'un terrible cauchemar au goût et aux saveurs trop réelles que je m'étais égaré de ce qui me paraissait être la plus implacable évidence.
Je découvrais une vérité que j'avais si longtemps cherché sur tant de regard, sur de nombreuses lèvres amantes et assassines alors qu'elle se terrait quelque part au fond de moi, hors de ma vue, tout là-bas vers ces lieux sacrés où l'enfant que j'étais vis encore...

Stéphanie n'était probablement pas malheureuse avec cet homme mais j'avais la certitude qu'elle n'était pas heureuse.
Son regard quelle portait sur moi ces lundi matinaux, ces coups d'œil discrets que j'attrapais à la volée au milieu de cette foule bruyante, ces quelques mots échangés ce soir je les connaissais, je les avaient déjà si souvent croisé, sur d'autres visages, sur ces autres filles qui avaient croisées ma vie.
Mais surtout dans le regard que portait ma mère sur l'enfant que j'étais, ou plus précisément ce qu'il manquait dans celui qu'elle offrait à mon père...

Je compris assez vite que l'existence de ma mère possédait deux pôles visibles et que j'en étais l'un d'eux.
Avec moi la tendresse se mêlait souvent aux rires et dans ses yeux une étrange lueur qui me rendait heureux, j'étais important, je vivais en elle à travers son regard.
Elle me fit découvrir l'existence des larmes de joies qui parfois perlaient sur ses joues au milieu de certains de nos jeux au cœur d'un printemps radieux, m'appris que la confiance était un ciment de l'amour et que chaque instant que nous partagions serait à jamais éternel, vivant, chantant et dansant follement dans nos mémoires.

Avec mon père, il ni avait rien de tout cela...
Je savais qu'il y  avait encore de l'amour entre eux quand parfois nous nous promenions et qu'elle le tenait par la main, quand ils échangeaient un sourire complice, mais ces rares moments semblaient emprunt d'une certaine mélancolie, une retenue naturelle, donnant un goût fade à leur amour couleur pastel.
La flamboyances et l'exaltation les avaient quitté, un jour d'automne pluvieux ou un matin brumeux d'un hiver glacial.

Mais en réalité, bien avant que la crainte ne s'empare de leur relation, la passion les avait délaissé, comme une corde effilochée qui rassure tant qu'elle est là, mais qui sans la moindre tension ne se brise que rarement soudainement.
Ils n'étaient plus heureux ensembles mais n'étaient pas encore malheureux au point de séparer leur route...

Ma mère trouvait un sens à son existence avec cet homme, travailleur, fidèle, qui lui apportait une sécurité financière et une certaine position sociale, ne goûtant au "bonheur" que dans la présence de ses enfants.
Elle s'était liée à vie avec mon père tout simplement parce qu'elle n'était pas malheureuse, simplement pour ne pas être seule face aux difficultés de la vie.
Ils vivaient un amour travestit, modifiant l'essence même de ce puissant sentiment, simplement pour justifier leur union.

A présent je réalise que je me suis trompé sur celui que je voulais devenir, celui que je croyais être.
Je me suis battit le plus loin possible de l'ombre de mon père, de cet ogre hurlant et égoïste qui ne réalisait plus la chance qu'il avait de vivre aux côtés de sa femme, ne la considérant plus comme une chose rare et précieuse dont il aurait du remercier les Dieux d'avoir accepté qu'elle reste avec lui.

Ma mère préféra sacrifier son bonheur juste pour que je puisse être heureux dans cette famille, que leur couple avait fondé sur des bases vacillantes.
Mais c'était sa plus terrible erreur.
Je ne fis finalement que de tenter de servir de substitut à cet amour mort et défiguré, ne m'amenant que sur le chemin de la culpabilité qui aujourd'hui encore, vit au fond de moi.
Les habitudes, et la certitude que tout cela ne pouvait changer,avait à jamais transformé en cet homme que j'appris à détester au point de vouloir gommer, détruire en profondeur toute ressemblance avec lui.
Je ne voulais pas qu'un beau matin en me réveillant que celle que j'aimerais puisse avoir pour moi le même regard que ma mère avait pour mon père.
C'était là, la vérité, ma vérité !

Mon cheminement amoureux semblait d'une clarté frappante, d'une logique cruelle et blessante tant j'avais échoué dans ma tâche, allant même jusqu'à m'aveugler avec ma dernière compagne, en m'accrochant à un regard où depuis trop longtemps je n'existais plus, me laissant lentement mais inexorablement happer par cet amour travestit dont la plupart des couples se contentent.
Comme si des biens matériels, des enfants où de vieux souvenirs pouvaient rendre véritablement heureux deux personnes formant un couple.
Cette équation était tout simplement fausse et bien trop souvent arrangeante.

Tout cela les empêchait tout simplement de devenir malheureux...
Le véritable amour est ce qui relie intensément et profondément deux êtres, une passion qui ne peux se satisfaire de simples calculs de chimistes pour justifier sa disparition, un état permanent de manque aux effets variables mais dont les flammes ne peuvent se muer sans conséquence en de simples braises.
Quand le regard de chacun conserve ce désir de vivre ensemble, alors le reste n'est plus un simple alibi ou une vulgaire justification au prolongement de leur vie commune, mais un véritable ciment pour un peu plus célébrer cet amour.

Longtemps j'ai espéré réussir à vivre ces instants fabuleux mais au final je n'étais qu'un doux rêveur, il n'y avait tout simplement personne pour faire durer ce songe, personne qui serait seulement à moi...
Durant toutes ces années on me convainquit que j'étais un pessimiste, mais aujourd'hui j'ai la certitude que bien au contraire j'étais un hyper optimiste, frôlant les frontières de l'utopie dont le verre à moitié vide, en fait débordait.
J'avais tout simplement décidé, à l'ombre du couple de mes parents, de ne jamais travestir l'amour, de toujours préserver cette lueur qui me donnait la vie dans le regard de l'autre, même si le prix à payer devait être cette cruelle solitude, cette fatale incompréhension qui faisait de moi un être différent, un banni aux yeux de la triste normalité.

J'avais essayer de me contraindre à cet amour imparfait, travestit et arrangeant, mais je n'avais seulement réussi à éviter d'être malheureux, sans préserver mon bonheur, en oubliant que je n'étais plus heureux.

A trop vouloir aimer, j'étais un éternel perdant...mais je n'avais pas d'autres choix.

Chapitre 13 : Juste vivre encore un peu


Comme chaque lundi je croisais cette fille au regard précieux, là où il me semblait que je pouvais exister et qui d'un sourire me rendait ma monnaie mais surtout me ramenais vers certaines sensations connues, aimées mais tant redoutées.
Elle était vraiment différente de toutes celles que j'avais connu, non pas physiquement mais pour une raison simple : elle était une fille du Soleil.

Le monde amoureux que je me suis créé au fil du temps est curieusement scindé entredeux.
D'une part il y avait les gens comme moi, noctambule, passionné, portant les stigmates des blessures de la passion sur une âme trop souvent mise à nue, ces êtes au romantisme acerbe, à la mélancolie suintant de chaque émotion, ceux pour qui le verre restait à jamais à moitié vide.
Nous étions les fils et les filles de la Lune.

De l'autre côtés vivaient les enfant du Soleil, ceux qui possédaient la grande majorité et possédaient l'arme la plus terrifiante et impitoyable qu'il soit : la normalité. Leur verre semblait à jamais à moitié plein et ils avaient su trouver leur place dans cette vie.
Souvent en couple ils avançaient dans une existence à la route tracée par leur destin et loin des sentiers chaotiques que la nuit étoilée offrait aux fous et aux mendiant, aux poètes et aux vagabonds, chemin de traverse où l'horizon semblait inaccessible mais au regard.

J'étais un de ces enfants égarés, déchirés par la passion et broyé par cette la solitude.
Fils de la Lune, rêveur fou au entraves de chair où l'âme tournée vers les cieux je n'aspirais qu'au bonheur le plus simple mais le plus improbable qui soit.
Aimer et être aimé mais sans jamais sombrer dans la routine, ni dans cette normalité où le simple fait de ne pas être malheureux était suffisant, où la passion une fois éteinte laissait place à un amour pour le moins amical, enchaînant ces enfants du soleil dans leur routine, dans leur émotions à la tiédeur sans goût aux tons pastels.

Cette vie je ne pouvais la concevoir, même si j'ai essayé de toute mes forces, cette forme de partage bien trop poli, trop discret et presque aphone ne put jamais me combler ou même me satisfaire.

Je voulais rester vivant dans le regard de l'autre, encore aimer intensément, comme si c'était la dernière fois que je serais ma compagne dans mes bras, comme si mes lèvres n'avaient plus qu'un ultime baiser à offrir, comme si nos corps n'avaient plus qu'une danse sensuelle à partager.
Entretenir ces braises ardentes quitte à me battre un peu plus chaque aube naissante pour que chaque nuit à venir soit une nouvelle célébration, que dans mon regard l'autre reste la seule, l'unique trésor qu'il pouvait me rester et que jamais je ne puisse me lasser de la regarder quand elle passerait devant moi même sans me remarquer.

Continuer à assister à son réveil avec le même ravissement, quand enfin Morphée la laisserait revenir vers moi, juste la regarder et, délicatement pour préserver la magie de l'instant, effleurer ses lèvres par un tendre baiser afin qu'elle n'oublie que j'existe.

Ne jamais mettre en question la confiance offerte par le premier baiser mais ne jamais chasser le doute de notre relation.
Ne plus douter sur la présence de l'autre et de son amour est le premier pas vers la monotonie, vers la certitude et la lassitude.
Ce doute qui nous pousse à toujours offrir plus ou mieux mais encore et toujours, juste pour conserver l'espoir qu'au prochain matin la magie se renouvelle...
Mais c'était trop espérer, trop demander que de vouloir préserver la passion, contenir ces flammes aux milles parfums dans nos regards, il fallait se rendre à l'évidence et accepter que tout cela ne devienne que cet amour, suffisant pour beaucoup, mais qui semblait tellement vide et insuffisant pour moi.

Je ne sais plus quand tout cela a commencé, quand ce mal s'est immiscé en moi, mais je ne peux que constater les nombreux dégâts qu'il a engendré dans ma vie, les meurtrissures qu'il a infligé à mon regard et les profondes entaillés qu'il a gravé dans mon cœur.
Enfant de dame Lune aux yeux brillants par les larmes ne pouvant s'extirper de leur geôles fabriqués par ces enfant du soleil, mais dont chaque aspiration n'est emplie d'aucune trahison, ni aucun mensonge, juste par une dernière complainte, une ultime prière pour qu'enfin se réalise ce doux rêve où l'amour restera comme au premier instant, non pas figé, mais dansant, riant, caressant et désirant.
Regarder les étoiles en se rappelant que le songe était beau, que le goût de la peau de l'autre était d'une pureté incandescente te ne jamais oublier ces regards où enfin j'existais, pour une heure, une nuit...

Il y a là cette fille du Soleil qui ne devrait pas m'attirer, dans son regard je ne devrais même pas exister, et pourtant...
Et si elle détenait la clé qui répondrait aux incessantes questions qui m'assaillent depuis trop longtemps ?
Si je m'étais fourvoyé depuis le commencement, que je m'étais trompé de route et n'avait pris en considération que l'appel de mon cœur ?
Ni avait-il pas là quelque chose d'implacablement logique ?
Les enfants de Lunes étaient peut-être destinés aux enfants du Soleil ?
Pour que le verre soit enfin, rempli n'était-ce pas la vraie solution ?
Je n'avais jamais côtoyé d'aussi près les réponses que je cherchais, je n'avais jamais considéré ces filles, différentes de moi comme un éventuel complément à mes manquement, comme un contre poids à mes heures sombres, comme une moitié qui pouvait parfaitement s'assembler à mon âme.

Au bout de ce parcours, je détenais l'illusion d'une solution que mon esprit et mon cœur semblaient partager, comme si pour eux cette idée les satisfaisait.
Pour la première fois je ressentais un doute concernant ces certitudes, sur ce miroir où j'espérais trouver mon reflet : ce n'était pas le miroir qui importait mais le reflet qu'il pouvait me renvoyer.
Je quittais cette fille du Soleil avec en moi le sentiment qu'enfin je pouvais survivre ou au moins juste vivre encore un peu, ne serais-ce qu'une dernière fois, avant que la fin ne survienne, que les murs de désespoir que j'avais battit autours de mon cœur ne soient trop hauts...

Pourtant, au fond de moi, il y a avait là cette ultime certitude, ce dernier message gravé à quatre mains sur mon âme endolorie : il était déjà trop tard, même juste pour vivre encore un peu, beaucoup trop tard...

Chapitre 12 : Enfant de Lune


Le monde de la nuit est depuis longtemps mon univers.

Non pas cet univers préfabriqué où se bousculent les gens aux portails de ces endroits bruyants, où l'alcool est un ultime rempart face au désespoir et la solitude, pas dans ces lieux où ces regards se cherchent dans la pénombre artificiel afin de combler une envie devenue trop douloureuse, trop pressante et qui au matin levant n'engendrera que regret ou vide.

J'ai vécu dans ces endroits, j'ai connus certains matins brumeux, mais ce n'était pas là ma véritable place, je ne faisais que singer cette vie que je ne connaissais même pas, croyant aux chimères charnelles et leur promesses sans lendemain.

Mon univers est bien plus vaste, invisible pour certains, inutile pour d'autres mais c'est mon royaume, là où mon âme peut enfin se montrer nue sans risquer d'être reconnue ou moquée par ces êtres aveugles et prétentieux.
Juste là sous le regard bienveillant de dame Lune, au milieu de sa cour étoilée et scintillante, je vis enfin...

Parfois s'en vient me rejoindre mon fidèle allié, depuis si longtemps, depuis cette nuit de violence et de larmes, le vent.
Il est mon plus intime ami, lui seul peut à sa guise ouvrir des fenêtres béantes sur mon âme, enfoncer des portes aux barreaux de chair dans mon cœur où sont cachés mes pires tourments, enflammer mon esprit éperdu d'un songe ou d'un parfum pour lui offrir une ultime lueur.

Tempête intime aux yeux rivés vers ces cieux absents où seuls semblent se presser ces lourds nuages, laissant ici où là dans une étroite fêlure apparaître un rayon de Lune, une mince traînée d'étoile vaporeuse à la lumière diffuse et déjà morte.
Clameur du sol quand unes à unes viennent frapper les gouttelettes de pluie, quand pour une seconde, une éternité, je ne m'appartient plus, je ne suis plus, mais où enfin j'existe, sans gravité, m'élevant vers une émotion pure, un amour irradiant, une douleur amante.

D'un automne pluvieux aux couleurs rougeoyantes, aux senteurs de moisissure et aux brumes délicates, à un hiver gerçure aux illuminations nocturnes silencieuses, aux longues étendues d'amnésie et aux glaçantes bises matinales, je remonte le fleuve tournoyant jusqu'à la source de limpidité, pour me noyer une dernière fois dans un remous au pied récif , juste pour redevenir celui que je suis, éternel poisson remontant le courant jusqu'à l'épuisement retrouvant là, tout au bout de la nuit, ce goût de sel Océan dans ces larmes perdues.

Compagnon nocturne des astres immobiles filant et défilant entre chaque soupire à l'écho inaudible, chaque regard songeur au doux son d'un rire plaintif, gémissement échappé de sa cage ensanglantée où entre chaque pulsation un espoir vient à s'échouer, se briser et repartir vers le lointain horizon à l'écume amère.

Folles incertitudes qui me jetaient dehors quand le soir venu, les questions se faisaient trop lourdes, quand les peurs se faisaient vindicatives, et que l'ennui ne suffisait plus à ma souffrance.
Moment d'égarement vers un havre de paix au phare vacillant, incertain et que jamais je n'ai atteins tant les voiles approximatives de mon esquif se gonflant à la force d'un cri, à la puissante d'un rire incompris, se déchiraient soudainement dès que l'aube déversait sa brûlante couverture insensibles aux rêves à peine entamés.

Ombres de vie que tant j'ai cherché à saisir, à garder contre mon cœur meurtri au milieu d'une enfance à la longue échappée nocturne, quand rien ne semblait pouvoir arrêter mes sanglots, ni l'amour maternel si précieux quand la comptine venait à bercer mon âme avide d'insomnie et si coûteux quand dans un dernier souffle il vient à s'éteindre, ni les songes d'un petit lit douillet aux matins cotonneux couleurs chocolat près d'un fourneau au crépitement rassurant.
Instant lunaire découvert au son mélodieux des pleurs de cette femme au jour triste, quand la sourde violence était venu à jamais effacer son sourire amant, assombrissant son doux regard par la crainte quand l'orage grondait d'une voix trop connue.

Leçons de vie douloureusement apprises, quand le maître s'absentait et me laissait seul face au tableau sombre des adultes tyrans, petit homme aux rondeurs innocentes, qui jamais ne réussi à réciter son poème, sans la moindre hésitation ni la grace requise pour espérer que la fois suivante, les rires assassins et les regards apitoyés s'envolent pour se brûler sur l'astre de feu.

Évitant l'espace d'un bâillement songeur, les enfants lunes comme lui, cherchant désespérément l'affection derrière des paupières closes aux cœurs aveugles, mais qui parfois dans la solitude rassurante, un refuge tendresse venait à apparaître, ailleurs dans ces ténèbres qui, elles seules, pourraient enfin dissimuler le timide, l'estropié, le différent et l'incompris, le martyr qui pour seules armes n'avaient que ces hurlements silencieux et ces regards à l'horizon gravillon où le ciel s'étendait à perte de vue sur une marelle de craie que la pluie venait à effacer avant que le dernier lancer ne parvienne à toucher le paradis.

Quand s'en revient mon ami aux caresses frôlement, poussant son manteau nuageux sans se soucier de leur destination finale, en moi le calme s'installe intensément.
Blottit au coin d'un feu aux braises renaissantes où dansent encore ces songes enfantins aux goûts de sanglot et de rire, à l'écoute de la longue complainte rassurante de la fenêtre entrouverte, interstice infime entre les volets grinçants, pour accueillir ce cœur tempête qui tant apaise et enfle de désir mon âme enclume aux ailes brisées d'un souvenir trop insistant où le baptême d'enfant de Lune, nuit magique aux émotions complexes et aux peurs indélébiles jamais ne s'effacera, douloureuse prière inculquée et gravée sur la stèle surplombant mon cœur cimetière.

Ami invisible mais pourtant si palpable qui par une nuit au long cauchemar bien trop réel, vint me recueillir dans ses longs bras et caressant mon visage, essuyant mes larmes endolories, devint mon ami, mon confident quand dame Lune pour le première fois devint mon seul repère dans les ténèbres sourdes et grondantes.
Cette nuit où ma mère m'arracha à mon lit pour m'habiller et s'enfuir avec moi loin de ce père dont la violence venait d'éclater, meurtrissant à jamais l'âme de sa femme, par une gifle au goût de rage, balayant à jamais l'innocence de ce petit fardeau porté à bout de bras par cette femme aux yeux sanglots

Fuite éperdue au milieu de la nuit, nous emmenant loin de cet ogre aux hurlements effrayants, où seul la voix douce et apeurée de ma mère semblait parvenir jusqu'à mon cœur alarmé dans ce tourment incompréhensible mais qui mettait fin à ma douce enfance.
Vent nocturne au souffle réconfortant, témoin protecteur de cette scène au sombres remous qui allaient entraîner ma mère et moi vers les années de terreur despotique où l'ogre aurait trop souvent raison, où la corde invisible de ma pendaison promise allait flotter dans mon esprit désemparé...

Nuit d'automne où d'un seul geste mon enfance s'achevait, ne m'offrant que ce terrible constat sur la brutalité et la violence des grands, que seul mon ami venteux parvenait à contenir encore pour un temps, mes songes et mes espoirs d'enfant.

Chapitre 11 : Cruelle évidence


A quand remonte ma dernière certitude ?
Je n’arrive plus à retrouver sa trace dans mon miroir aux alouettes, dans ces immenses champs dorés où seul je lançais par poignées ces graines d’espérance sans jamais récolter le moindre épi au doux grain amant, comme si je n’avais vécu que sous le signe de l’incertitude, sous un astre flamboyant mais vide de tout réconfort et de toute compréhension.

Il faudrait que je rebrousse chemin, que je retourne vers le commencement, quand tout n’était que rire et insouciance.
Vers cette vie d’autrefois où je n’étais qu’un petit garçon promenant son innocence jusqu’à l’orée de la sombre forêt où se tapissait déjà le loup au regard intense et aux certitudes nombreuses.
Je l’ignorais encore mais ces premières années déjà dessinait sur le mur de ma destinée ma différence, mon penchant et mon attrait vers les interdits et les découvertes d’autres univers, d’autres formes de célébrations qui ne sied que très peu au tendre monde de l’enfance.

Adolescent ma vie changea par la découverte de certaines musiques, du monde sensuel des filles ou encore celui plus ténébreux des drogues et des amis de circonstances liés aux premiers excès.
Mais mes premiers émois qui déclenchèrent les premières inquiétudes de mes proches, les premières interrogations quand à mon incapacité à m’intégrer dans une pensée bien définie et un chemin trop parfaitement balisé par cette société annihilante et frustrante, je les dois au cinéma.

Aussi loin que je me souvienne mon premier grand choc cinématographique devait être " Le Colosse de Rhodes " de Sergio Leone.
Un péplum diffusé sur une chaîne française et par son côté "historique" mes parents m’avaient autorisé à regarder.
J’avais le droit de regarder même parfois assez tard tous ces films liés à l’Histoire et les nombreux westerns diffusés à cette époque.
Moment de découverte et d’excitation pour le petit garçon que j’étais, ces aventures épiques que je réinterprétais avec mes jouets inlassablement et qui me passionnaient.

Pourtant ce qui m’intriguait le plus étaient ces films que l’on m’interdisait de voir, préférant m’envoyer au lit, mes parents semblaient posséder certains trésors visuels auxquels je ne pouvais accéder.
La nuit venue j’essayais d’imaginer ce dont il s’agissait et cette phrase dans ma tête revenait comme un leitmotiv : « Allez hop, au lit, ce film n’est pas pour toi, c’est pour les grands ».
Des films pour les grands ?
Quels étaient donc ces métrages que l’on m’interdisait, de quoi pouvaient-ils bien parler et que pouvaient-ils contenir de si particulier pour que l’on m’envoie me coucher même de bonne heure…

Je fini par le découvrir  une nuit quand enfin je trouvais le moyen de briser cet interdit.
Je me couchais normalement comme on me l’avait vivement conseillé pour une de ces soirées réservées aux grands. Puis j’attendais patiemment que ma mère regagne le salon.
Je me relevais et venait me poster contre la porte du salon et par l’entrebâillement pouvais découvrir l’objet de cet interdit.
Ce soir là je fis la découverte d’un autre univers, de nouvelles sensations sans vraiment comprendre pourquoi je n’y avais pas accès.

Sur le vieux poste de télévision en noir et blanc passait un film d’épouvante, « La Fiancée du Vampire », une œuvre qui provoqua en moi pour la première fois la sensation de peur, impression désagréable mais pourtant terriblement excitante.
Cette nuit là j’eus énormément de mal à m’endormir, allant même jusqu’à faire un rêve terriblement angoissant qui provoqua cris et larmes que ma mère, comme toujours, su calmer et me ramener vers la douceur cotonneuse où je pouvais m’endormir apaisé et rassuré.
Sans le savoir, ni vraiment le comprendre, ma vie d’enfant venait de changer à jamais.

Enfant j'habitais avec mes parents dans un petit village, Manom, et les commerces où ma mère se rendait régulièrement se situaient dans la ville voisine, Thionville.
Souvent le mercredi, jours où je n'avais pas école, je l'accompagnait faire ses divers achats. Nous avions à peu près trois kilomètres à parcourir à pied afin de nous rendre dans cette ville et ces moments comptent encore aujourd'hui parmi mes souvenirs les plus précieux.
Tenant la main de ma maman, dans mon esprit un signe protecteur de ma part,  je parcourais donc cette distance, traversant le parc ou je passais souvent du temps avec elle, puis la "cité" des cheminots, qui ressemblait à un petit village mystérieux avec ses maisonnettes toutes semblables, et enfin nous arrivions dans le centre ville.

Il y avait là une petite fontaine sur une jolie place devant un grand café, jouxtant un lieu encore inconnu pour moi, mais qui dans un avenir proche, allait être un de mes endroits favoris : le cinéma La Scala !
Un peu plus loin, à une centaine de mètres, se trouvait une petite épicerie espagnole, pays ensoleillé de mes origines, où ma mère connaissant la propriétaire avait pour habitude de se rendre.
A quelques mètres de là se trouvait un bar/PMU où le dimanche matin, mon père avait pour "vice" de venir jouer son tiercé.
Et entre ces deux établissements, se dressait ma cathédrale, le lieu où que j'allais fréquenter assidûment tel un fidèle, ne ratant que très rarement les messes qui étaient dites, vouant un culte sans limite a cette religion particulière et nourrissante pour mon imagination qui allait changer ma vie.
Un ancien théâtre datant 18ème siècle, reconverti en cinéma en 1912, ou s'étalait en grand formant des affiches à jamais gravées dans ma mémoire : le cinéma Rex !

La première fois, je m'en rappel parfaitement, ce fut un beau matin en 1975/76.
J'avais un peu plus six ans et en ce mercredi matin, ma mère se trouvait là, choisissant légumes et fruits sur l'étalage à l'extérieur de l'épicerie, quand mon regard fut attiré par une énorme affiche sur la devanture du cinéma...
Je m'approchais du cinéma et découvrais, mi-horrifié, mi-émerveillé de l'affiche de Frissons (Parasite Murders), avec un gros bandeau blanc où étaient inscrits ces quelques mots : INTERDIT AUX MOINS DE 18 ANS.

Un choc dont je ne suis jamais remis.
Pour la première fois je découvrais une image effrayante mais qui m'attirait et faisait naître dans mon esprit de folles idées concernant l'histoire ce film.
De plus, sous vitrine, juste en dessous de l'affiche s'étalaient plusieurs photos de ce film, m'amenant à imaginer une histoire monstrueuse et sanglante, de vers affamés dévorant atrocement les humains...
Je me tenais là, immobile, lisant et relisant toutes les inscriptions notées sur l'affiche (dont le nom de David Cronenberg, qui m'était inconnu, me poussant à croire que c'était un film suédois !), quand ma mère me tira de mes pensées.

Elle était horrifiée par le spectacle qui s'offrait à mes yeux et tentant de m'expliquer que ce genre de films étaient réservés aux adultes car ils étaient très effrayant et très sanglant.
Ce genre de film était, selon elle, de mauvais films et je devais me tenir à l'écart de ce genre de production...
Mais je ne l'écoutais pas, car dans mon esprit la séance avait déjà commencée et le film fantasmé défilait sur l'écran de mon imagination !
Ce soir là, je mis du temps à m'endormir, revoyant inlassablement cette affiche et ces quelques photos, qui venaient, sans que j'en sois réellement conscient, non pas uniquement de changer mon enfance mais ma vie !

Ainsi donc mes sept années suivantes, je les passais les yeux rivés sur ces affiches géantes, inventant les plus folles histoires (pour le Zombie de Romero je pensais que les flics et les « bickers » faisaient équipe pour massacrer tous ces zombies affamés de chair humaine !) et sombrant peu à peu dans une folle passion vénéneuse dans les bras de ce cinéma horrifique qui me fascinait et m'éloignait doucement de la monotonie ambiante de la vie d'enfant que j'avais...

A cette époque il est impossible pour un enfant ou un adolescent provincial d'avoir la moindre information sur ces films pour adultes et encore moins de voir la moindre image ou extrait, alors que de nos jours toutes les infos sont disponibles via divers média (Internet, TV, magazines) et on entre dans une salle de cinéma en terrain conquis !
Dans mon enfance la censure veillait au bon équilibre de ses chères têtes blondes où les seules valeurs reconnues étaient le travail, la famille et la religion, faisant de chaque sortie au cinéma une véritable aventure, pleine de crainte et d'excitation...

En découvrant l’existence de cet univers fait d’images violentes et dégoûtantes pour l’enfant que j’étais, je quittais définitivement le chemin tout tracé auquel j’étais prédestiné et que m’avaient balisés avec amour mes parents.

Je devenais progressivement une source d’inquiétude pour mes proches jusqu’au délit suprême de refuser de voir le film E.T., pourtant le monde entier se précipitait à son chevet pour l’élever en icône, en merveille destinée aux enfants à travers la planète….tous sauf moi.
Devant la réaction des adultes et le plus terrible, dans le regard de ma mère, pour la première fois jeu la terrible certitude que je venais de provoquer ce sentiment terrible et blessant qu'est la déception.
Je devenais un sujet d’observation, soupçonnait-on déjà mon esprit d’être malade ou vicié malgré mon jeune age ?
La différence est un luxe que seuls peuvent se permettre les fous et les excentriques, les poètes maudits où les artistes infréquentables mais certainement le petit garçonnet que j'étais.

Cette différence qui allait devenir et reste mon étendard, ensanglanté de ces nombreux échecs passés et présents mais pourtant contient toute ma richesse, toute ma sincérité et probablement une des portes menant de mon âme.
Différence qui allait devenir au fil du temps une arme infaillible quand le temps des conquêtes amantes allait sonner.
Ces filles qui en moi découvraient émerveillées d’autres horizons, d’autres univers à la fois étonnant et excitants, allaient pourtant sceller définitivement mon sort.
Si cette différence était source d’attirance, elle finissait toujours par engendrer des flots de craintes et de déception.

Comme une implacable vérité, une cruelle évidence, je n’étais pas celui qu’elles espéraient, je ne jouais pas un rôle, j’étais exactement ce lui qu’elle découvrait mais cette vison une fois le charme passé devenait une tare, une immondice au regards des autres et de cette société prêchant à tour de bras l’uniformité et l’obéissance aveugle.

J’ai longtemps crut que cela resterait une force, que tôt ou tard la vie m’apporterait son approbation et me permettrait de trouver un équilibre, un compromis, un simple sursis dans le regard de l’autre.
Peine perdue, quand la passion cessait de harceler les esprits et les corps, chacun s’empressait de se fondre dans la masse silencieuse et obéissante.

Ces lieux, où se tassaient ces couples officiels, que j’ai essayé de fréquenter, où je n’ai fait que me perdre et endosser un rôle incompréhensible pour moi, où mon âme jour après jour était bafouée, où ce semblant de normalité et de répétitions menant l’amour par de lourdes chaînes, ne faisait qu’un peu plus m’entraver et déchirer la fragile pellicule renfermant mon cœur amant.

J’ai essayé de tout mon être d’être comme eux, comme la plupart d’entre vous, mais je n’ai fait que me perdre, sentant un peu plus le souffle morbide de ces lourdes ailes sombres, m’approchant inexorablement vers cette fin indolente où je n’étais rien, sans la moindre valeur.
Longtemps j’ai pensé que ma différence me sauverait mais aujourd’hui elle ne m’a offert que cette terrible certitude.

Je n’ai été qu’un piètre fils, un piètre frère, un piètre amant, un piètre ami, cruelle évidence qui dans un moment de lucidité inonde mon esprit, déchire mon cœur et brise tout espoir naissant dans mon âme à l’abandon.
Sinon comment expliquer ces nombreux échecs, ses amours défunts et cette vie où je ne possède rien, où je ne suis plus rien ?

Aux premières lueurs de ma vie, sans trop le savoir, ni le comprendre, je scellais déjà ma destiné dans cette différence, source intarissable de déception et regrets que j’allais affronter nuits après nuits, vies après vies, dans le regard de l’autre…

samedi 6 mars 2010

Chapitre 10 : Nuits de Bruges



J'ai eu l'occasion de me rendre dans la formidable ville de Bruges à plusieurs reprises dont un week-end passé sur place.
Il y à quelques semaines grâce à des amis j'ai pu y retourner, enfin devrais-je rajouter !


Après une matinée consacrée au shopping (entendez par là, écumer les chocolateries de la ville !) puis un repas dans un petit restaurant fort sympathique et avec une superbe vue, enfin arriva le moment que j'attendais depuis mon arrivée, bien que la compagnie de mes amis ne fut pas désagréable, loin de là.
Comme mes compagnons de voyage formaient trois couples et étant le seul célibataire, je les laissais donc pour leur petite visite romantico-amoureuse et je m'éclipsais à la reconquête de ma ville.....


Après avoir pris congé de mes amis, je lève les yeux vers le ciel menaçant mais pourtant fort prometteur.
Aujourd'hui il est couvert et le temps venteux, comme si Bruges s'attendait à ma visite m'offrant des conditions idéales pour parcourir ces petites ruelles, sa grande place ou encore ces très nombreux petits ponts surplombant les canaux sinueux irriguant la ville comme de nombreuses petites veines...

Connaissant la ville, enfin le pensais-je, je me dirigeais vers le Beffroi pour profiter de l'impressionnante vue qui nous est offerte à son sommet après une ascension de presque 30 minutes par des escaliers se rétrécissant considérablement à l'approche du sommet.

Mais l'effort n'est pas vain, croyez-moi...

Après avoir longuement regardé le magnifique diaporama qui s'offre sous mes yeux, bien que cherchant désespérément l'océan, la Mer du Nord proche cousine de mon Atlantique tant aimé, mais que les nuages bas, d'un gris sombre et profond, annonciateur de quelques averses imminentes, me cachent, je redescends, mais avec une idée en tête : me rendre au bord de l'immensité maritime que depuis trop longtemps je n'avais pas eu l'occasion de saluer.

Parcourant les ruelles d'un pas tranquille, je croise de superbes habitations flamboyantes ou très modestes mais dégageant toutes cette impression, que le temps c'était à jamais figé dans la cité flamande et qu'au détours d'un quelconque coin de rue, des nobles ou des chevaliers en armes pouvaient surgir à tout instant.
Bruges, ville aux passé radieux et au présent envoûtant par son architecture et sa quiétude toute relative mais qui d'une façon simple et directe parle à mon cœur, enlace mon âme de nombreuses émotions et sensations qui me font sourire les larmes aux yeux.


Ici le mot mélancolie prend tout son sens, le romantisme n'est pas qu'une simple invention due à un poète maudit, mais se retrouve là où notre
regard s'attarde.
Ville si proche de moi et dont chaque partie de mon être semble reconnaître comme une amie, une confidente et une maîtresse.

Bruges, ville des amants solitaires et silencieux, où les mots sont inutiles, seuls les regards et les soupirs peuvent contenir l'intensité des émotions s'élevant de chaque pierre, arbre ou canal de la cité.


Je prend une navette de bus m'emmenant vers mon rendez-vous au bord de cette plage où déjà il me semble entendre mon ami l'océan.
A peine arrivé, j'ose enfin fixer l'immensité grondante et écumante de cette mer, dont la similitude avec mon Atlantique est frappante.

Aucun doute sur leur lien de parenté.

Sous cette chape nuageuse de plus en plus menaçante, rares sont les âmes égarées promenant leur corps maladroit sur la plage.


Après avoir parcouru la plage au sable collant, où de jeunes vagues téméraires viennent à s'échouer, je m'assois sur un rocher face à cet horizon dont les lignes incertaines m'apaisent et pourtant font monter en moi une profonde mélancolie.

Tant d'années sans pouvoir partager un tel instant, sentir cet air frais et particulier lécher mon visage fatigué , laisser ce vent fougueux et caressant jouer dans mes cheveux, tant d'années avant de me sentir entier, recevant les lames d'écumes sur les rivages de mon âme solitaire et affamée, que cet instant précieux se grave lentement mais avec une précision d'orfèvre dans mon cœur cimetière.


Se sentir un peu plus seul, s'approcher un peu de la vérité et laisser mon âme s'envoler vers la voûte nuageuse, vers cet au-delà où encore je peux rêver, juste là où les larmes puisent leur beauté et leur sincérité.
Juste cet endroit connu mais au chemin sinueux et escarpé où dans le regard de l'autre j'existe, quand ma vie recouvre une valeur céleste, une puissance tempétueuse, où je suis enfin aimé...
Rester encore un peu enlacé par cet embrun qui me caresse comme une amie, comme une amante et qui reconnaît en moi un enfant égaré sur le sol rocailleux où se brisent inexorablement le moindre espoir, la moindre folie.

Enfant océan, cloué au sol dans l'immobilisme du bitume au goût de mort, engluant un peu plus mon âme, recouvrant d'un épais voile mon cœur bohème.

Elle était là ma vie, dansant au milieu des vagues folles, riant à perdre haleine avec ces mouettes joueuses, construisant inlassablement ces château de plume dans le sable d'or de dame Océane, juste là devant mes yeux clos par le désir de simplement trouver l'autre, l'autre...

Mais il n'y a là que cette fille aux cheveux noir qui passe devant moi, m'offrant un sourire amical, comme si elle aussi connaissait la valeur de ce moment, venant me délivrer de cette vision où déjà j'allais me noyer.
Je la regarde s'éloigner, image d'un amour fuyant, d'un avenir illusoire mais encore hantant mes rêves les plus intimes, constatant avec étonnement que la lumière du jour s'estompe déjà et qu'il me faut rejoindre la ville.

Je me dirige vers l'arrêt de bus et juste à temps je réussi à monter, non sans un dernier regard vers cette amie océane, si chère à mon âme, mais trop rarement présente dans ma vie, quand les nuits se font glaciales, gerçant un peu plus mon cœur et imprimant sur mon visage ces traces sous mes yeux rougis par cette maîtresse sans pitié, dame insomnie.


Je repars vers la cité où la nuit vient de se poser sans le moindre bruit, avec cette lancinante sensation que plus jamais une tel moment ne viendra croiser la longue route de ma destinée.

La ville semble s'éveiller lentement et de la pénombre parcourant ces ruelles, les lumières jaillissent, bien que artificielles, redessinant les contours incertains des maisons et de ces somptueux monuments, leur redonnant une nouvelle vie, flamboyante et empreinte d'une magie réelle.

Nuits de Bruges où seul le désir et la passion semblent pouvoir atteindre l'aube brumeuse, quand les baisers de ces amants silencieux délivreront leur lèvres avides et leurs bouches ardentes, les laissant s'éloigner dans un ultime soupir, un dernier regard troublé.
Nuits de solitude où l'espace entre mes bras se referme sur le néant, où mon regard éperdu vient s'écraser sur les dures briquent de ces murs ancestraux, sans que rien, ni personne, ne vienne l'intercepter, le recueillir, lui donner sa vraie valeur miroir.


Je rejoins mes amis déjà attablés, conversant joyeusement et ravis de me revoir.
Je m'assois, tentant de cacher ces émotions qui ruisselles sur mon âme rocher où seul l'écume du souvenir de mon océan atteste de mon aventure dans ma belle cité de Bruges.

Après avoir fini la soirée dans un bar, je vais déjà devoir quitter cette ville maison, cet endroit refuge pour reprendre cette route d'asphalte longue et blessante, qui au matin blême et insensible me mènera dans mon grand lit vide et froid.

Là je continuerais de revivre cette journée magnifique, entre rêve et réalité, où peut-être cette fille du rivage me dira juste quelques mots qui changeront ma vie, des mots qui semblaient danser au fond de son regard, sombre comme ce ciel menaçant et d'une intensité attirante comme l'océan, mon océan.

samedi 6 juin 2009

Chapitre 9

Chapitre 9

Étrange enfance

- Partie 2 -


Quand le lendemain la cloche sonna l'heure de la récréation, je fus comme je m'y attendais la victime de nombreux quolibets et autres moqueries de la part de mes petits camarades de jeu. A ma grande surprise, une seule personne vint me réconforter : Isabelle !

Cette fille dont j'étais secrètement fou amoureux et dont j'avais déjà imaginé mille et une formidables aventures qui m'auraient permis de l'aborder en véritable héros à ses yeux, la laissant pantoise d'admiration, mais sans jamais oser affronter son regard insouciant et parfois espiègle plus d'une demi seconde. J'étais persuadé qu'elle rirait de l'aventurier fantoche que j'étais. Je restais là à la regarder et elle fini par attraper ma main qu'elle secoua, comme pour me sortir de cette léthargie qui m'avait transformé en petit soldat de pierre.

"Tu m'emmèneras voir le fantôme, dis ?", ces mots s'envolèrent de sa petite bouche souriante où tant de fois je m'imaginais déposer un chaste baiser, tel un preux chevalier ayant combattu vaillamment le dragon et finalement réussi à la délivrer du joug de quelconques horribles messires malintentionnés, volute de doux nuages où s'amusaient de formidables oiseaux blancs, là-haut, tout là-haut...
Elle me secoua une fois encore la main et me dit avec une certaine insistance "Alors tu veux bien m'emmener avec toi ?"...
Je m'entendis lui répondre comme dans un songe dont je n'étais que le simple spectateur, emmitouflé dans mon armure de coton, "Oui, bien sur...."
Elle m'offrit un merveilleux sourire, se retourna et s'en alla rejoindre ses amies à l'autre bout de la cour. Je restais là, immobile, ignorant les autres enfants persifleurs. Isabelle occupait tout mon horizon, elle était mon horizon, univers rougeoyant du lever au coucher de l'astre flamboyant...

Deux semaines passèrent et arriva un samedi après-midi mémorable : j'allais emmener ma promise dans cette maison hantée, tel le preux chevalier dont je rêvais, prêt à affronter mes peurs pour la protéger de ce lieu ensorcelé et dont je gardais en mémoire, comme une vive brûlure, l'apparition à laquelle il m'avait semblé assister.
L'excitation se mêlant à une certaine peur provoqua en moi une terrible appréhension quand Isabelle et moi nous nous retrouvâmes face à la vieille demeure.
Mais je ne pouvais défaillir en présence de ma dulcinée, chose inimaginable pour le petit chevalier imaginaire que j'étais !
D'un pas que je voulais assuré, je l'entraînais donc à l'intérieur de la bâtisse, nous faufilant par l'entrebâillement que mes camarades et moi avions créés la première fois.
Mon cœur battait à tout rompre, enveloppant ma tête d'une brume de frayeur et de crainte mais que la seule présence de mon amie parvenait à dissoudre.

Nous étions là tous les deux, loin de tout, dans un univers de silence pesant et étouffant et de poussière dont l'univers s'étendait des fissures des volets aux murs de chaux dont un trait de lumière révélait les frontières entre l'obscurité et leur royaume.
Seuls, l'un à côté de l'autre, nous regardions sans un mot cet endroit dont le maléfice semblait agir sur nous, non pas en nous effrayant, mais curieusement nous offrait un savoureux mélange de malaise et d'apaisement. Je me dirigeais vers les escaliers, avec cette idée en tête de découvrir enfin si cette apparition était simplement l'œuvre de mon imagination débordante ou si elle était encore là, juste au bout de cette rampe au bois dévoré par les vers.

J'arrivais presque au bas de l'escalier quand je sentit la main de Isabelle venir chercher refuge dans la mienne, comme si la petite prison de chair qu'offrait mes doigts barreaux pouvait la rassurer, la protéger. Je lui jetais un regard interrogateur et elle me répondit par un petit sourire où l'inquiétude et une certaine forme de gratitude étaient mêlées. Je serais mon étreinte sur sa main plus petite que la mienne et dont le simple contact, doux et chaud, me redonna du courage pour affronter ce moment de vérité.

Je m'imaginais déjà découvrant avec effroi ce visage fantomatique en haut de l'escalier, visage qui probablement ouvrirait sa bouche puis émettrait un cri terrifiant qui me glacerait le sang, me paralyserait sur le champ, permettant au corps de ce spectre avec ses longs bras froid et ses grandes mains osseuses d'attraper le petit bambin que j'étais à présent au fond de moi.

Mais là-haut, je ne vis que le mur du fond, où dansaient les particules de poussières au milieu du rayon magique de la lumière s'infiltrant par les volets en triste état du premier étage.
Je passais le premier sur les vieux escaliers vermoulus qui, grâce au faible poids de nos deux corps enfantins, ne cédèrent pas. A chaque marche gravie, j'aidais Sabine a se hisser à ma hauteur. Après un périple excitant et presque joyeux, nous arrivâmes à l'étage où le sol semblait en bien meilleur état que le reste de la maison, nous fument comme rassuré et émerveillé par la vision qui s'offrait à nous.

Les murs, dont la tapisserie se détachait en lambeaux, lui donnant l'air d'une vieille peau pelant après une trop longue exposition au soleil, étaient recouverts par de nombreux tableaux et d'anciennes photographies aux couleurs passées. Nous restâmes un long moment en contemplation devant ces portraits d'autrefois dont le calme et la sérénité nous offraient un répit dans l'excitation de notre exploration.

Ma compagne m'attira alors vers un petit couloir menant à deux grandes pièces mais auxquelles nous ne pouvions accéder tant les sols étaient en mauvais état. A travers le parquet abîmé nous arrivions à entrapercevoir la pièce centrale du rez-de-chaussée, grâce au peu de lumière que laissait entrer les volets clos.

Si la première pièce n'offrait aucun intérêt, elle était vide et très sombre, la seconde en revanche possédait un seul et unique objet trônant au centre de ce lieu, balayé par plusieurs rayon de lumière et totalement sous l'emprise des poussières volantes, qui semblaient s'entrelacer comme mues par un souffle invisible, une chaise à bascule dont le dossier semblait très haut et les accoudoirs très larges.
Isabelle me tira par ma chemise et retourna sur le palier admirer les œuvres murales. Je m'apprêtais à la rejoindre quand une chose curieuse attira mon regard, que je n'avais pas remarqué au premier abord mais qui pourtant était bel et bien là sous mes yeux : sur la chaise à bascule, il y avait quelqu'un...

Juste au niveau de cette chaise dont je ne pouvais voir que la partie arrière, un trait de lumière déchirait l’obscurité de la pièce, projetant les particules de poussière vers le sol et dessinant une très étrange géométrie des lieux. Dépassant de l’accoudoir gauche, il me semblait apercevoir comme un objet métallique, assez long et plutôt fin, on aurait dit une aiguille à tricoter. Je réalisais alors que là, sur ce fauteuil, dont étrangement il me semblait voir un mouvement de basculement lent, presque imperceptible, mais pourtant bien réel, quelqu’un était assis, tricotant dans un silence presque apaisant.

Je restais là, immobile, mais très étrangement je ne ressentais ni inquiétude, ni frayeur. L’impression curieuse et troublante qu’ici je ne risquais rien, que ma présence était tolérée. Comme si suintant des murs défraîchis, sortant des planchers moisis, des vagues invisibles s’élançaient avec une douceur infinie et une précaution amicale pour enlacer le petit corps fragile que j’étais, m’enveloppant dans une sensation de plénitude où je pouvais me blottir afin d’y recueillir une certaine forme d’affection.

Je me tournais vers Isabelle, occupée à regarder les étranges gravures murales, mais alors que je m’apprêtais à l’appeler, je changeais d’avis, persuadé que la magie de cet instant unique et presque fantasmagorique, serait gâché par toute forme de partage, comme si cet instant gravé à jamais en moi, serait un secret précieux et tendre entre cette dame dans cette vieille bâtisse et le petit garçon que j’étais, que je suis, malgré tout ce que la vie m’aura imposé, pressée qu’elle était de me faire grandir pour m’éloigner de mon intime et inestimable trésor, boite de Pandore qui s’entrouvre enfin, aujourd’hui que la nuit me semble de plus en plus longue et que les matins blêmes se font blessants .

Soudainement pris par une incontrôlable pulsion, j’attrapais ma compagne par la main et sans prendre aucune précaution je l’entraînait dans l’escalier, traversant en un éclair la grande salle du rez-de-chaussée pour nous retrouver dans la cour, hors de toute emprise, où nos rires enfantins enfin se libéraient, s’envolant très haut dans les cieux, tels de fantastiques oiseaux blancs s’enlaçant sous les nuages, les traversant pour se cacher loin de tout regard indiscret.

Arrivés devant chez moi, les visages radieux d’un bonheur partagé, les yeux illuminés par cette joie partagée, nous restâmes là, sans rien dire, reprenant notre souffle, calmant la brûlure de nos petites poitrines dont l’association de l’effort et des rires incessant nous offrait un merveilleux vertige. Les mains sur les hanches, mes yeux n’arrivant plus à se détacher de ceux d’Isabelle, je sentais les pulsations de mon cœur s’intensifier et si à cet instant j’aurais eu l’idée de porter mon regard sous mon petit chandail, je suis persuadé que j’aurais entraperçu ses mouvement sous ma peau.

Isabelle me dit alors qu’elle devait rentrer car il était déjà tard et avant que je ne puisse répondre à cette terrible annonce qui semblait totalement inappropriée tant je désirais que cet instant se prolonge, elle s’avança et déposa un doux baiser sur mes lèvres.
Elle me regarda, me sourit et s’en alla brusquement, me laissant là, incapable de faire le moindre mouvement tant mes membres semblaient lourds et inutiles mais pourtant en moi mon être tout entier n’aspirait qu’à une chose : la rattraper avant qu’elle ne disparaisse au coin de la rue, comme si cet instant jamais plus n’existerait…

jeudi 21 mai 2009

Chapitre 8

Chapitre 8

Étrange enfance


- Partie 1 -



La première fois que mon cœur a soudainement battu plus intensément, sans en connaître l'étrange raison, remonte à mon enfance, berceau de bien des douleurs mais aussi de merveilleuses et immortelles découvertes. Les premières lèvres d'une fille qui se sont posées sur les miennes, moment magnifié par ma mémoire quelque peu arrangeante, ont définitivement bouleversé l'ordre des choses que le petit garçon que j'étais alors s'imaginait, me faisant découvrir ce que j'ignorais encore et que l'on appelait communément "l'amour"...

Ce premier baiser chaste mais troublant est probablement à l'origine de mon grand attrait pour la gente féminine, tant elle fut pour moi un moteur dans ma vie, une vraie lotion revigorante, une incroyable carte aux trésors et surtout la porte d'entrée fantasmagorique d'or et de lumière vers de somptueux univers, étranges et précieux. Depuis ce mémorable jour, jamais plus je n'ai douté de la nécessité de ce partage avec une fille, véritable accélérateur de pensées magnifiques et créateur d'émotions dont l'intensité allait au fil de ma vie causer de terribles déceptions et d'immondes trahisons.

Grâce à ces filles, j'ai appris à contenir ma douleur, l'intégrant de façon perverse, comme une composante naturelle et inévitable dans mes relations amantes.

Voici donc l'histoire de mon premier baiser enfantin, forcément embelli par les années et le regard que je lui porte aujourd'hui, mais le cheminement dès plus particuliers en fait, et en fera, une des plus belles expériences de ma vie alors naissante...


A proximité de la maison de mes parents, se dressait une ancienne ferme habitée jusqu'à la fin de la seconde guerre mondiale et depuis réputée hantée...

Dans cette bâtisse vivait un couple sans enfants et lorsque la guerre éclata le mari parti au front. Après plusieurs années la femme n'eut plus aucune nouvelle de son époux et fini par tomber amoureuse d'un soldat allemand. Quand arriva la fin des hostilités, quelques temps après, le mari revint vers son foyer et découvrit que sa femme l'avais remplacé, qui plus est par un soldat ennemi...
Prit d'un accès de rage meurtrier, il tua le nouveau compagnon de sa femme, puis pendit cette dernière à l'énorme poutre traversant la pièce principale. Puis, probablement fou de chagrin, il se pendit à son tour, au côté de celle qu'il n'avait jamais cessé d'aimer...

Après quelques jours, un voisin fermier, s'inquiétant du bruit des vaches, découvrit avec horreur, les trois cadavres dans la maison. Il parti prévenir la police et au retour, le corps de la femme avait disparu........l'histoire se transformant alors en légende.


Ayant entendu les anciens du village plusieurs fois conter cette histoire, passionnante, excitante et effrayante surtout pour un enfant de 7 ans, chaque fois que je passais devant la maison abandonnée, en rentrant chez moi, je ne pouvais m'empêcher de ressentir un frisson parcourir mon échine. Par une belle après-midi, avec deux camarades de jeu, nous décidâmes d’entrer dans cette maison hantée, persuadés que les corps étaient encore présents.


Devant la maison il y avait une cour intérieure, envahie par les herbes folles et les ronces gardiennes de l'entrée principale. A peine avions nous mis les pieds dans cette cour que nous cessâmes de parler, gardant un étrange silence, comme si nous venions de pénétrer dans un lieu sacré.

Faisant face à l'imposante bâtisse nous restâmes là, le souffle court et les yeux écarquillés.

La ferme s'élevait sur un étage et semble-t-il un grenier, que l'on pouvait aisément deviner par le biais de cette poutrelle métallique recouverte par la rouille, dépassant d'une ouverture béante, qui a une certaine époque devait soutenir tout un système de cordage et de poulie afin d'acheminer par la voie des airs, aliments ou foin pour le bétail a stocker dans cet endroit sombre et clos niché sous le grand toit pentu, dont les tuiles absentes laissaient la lumière envahir cette partie de la maison.

Au premier étage, il y avait deux fenêtres, une était obstruée par des planches maladroitement clouées afin de ne pas laisser la lumière s'infiltrer à l'intérieur, comme pour mieux protéger un lourd secret ou mieux, l'antre du fantôme de la femme pendue, quand à l'autre elle avait conservé ses volets mais l'un était ouvert et laissait entrevoir une fenêtre au carreaux brisés. Entre ces deux orifices, une vigne sauvage recouvrait presque intégralement la façade, délavée par la pluie et le vent au fil du temps,, sortant de terre au pied de l'édifice et achevant sa course folle près des premières poutres apparentes sous la toiture.

Au rez-de-chaussée, il y a avait également deux fenêtres et entre elles une porte. L'endroit que nous fixions tous les trois à présent. Les trois ouvertures semblaient condamnées par de lourdes planches en bois solidement clouées et dont la vétusté des petits morceau de rouille émergeant du bois, nous laissait imaginer que depuis très longtemps, plus personne ne s'était introduit dans ces lieux funestes.

Là, debout et immobile face à la porte, nous échangeâmes un regard, mélange d'inquiétude et de confirmation quand à notre réelle volonté de violer la tranquillité de ces lieux. Très certainement nous aurions rebroussé chemin si l'un d'entre nous avait eu la force de prononcer un mot, mais nous étions là, silencieux face à cette porte.

Je pris les devant au bout d'un long moment me semble-t-il et au contact de la première planche, je frémis de tout mon être : en tirant un peu, celle-ci bougeait. Après m'avoir observé, et voyant qu'il existait là, dans le manque de résistance de cette barrière de bois aux clous abîmés, ils vinrent me prêter main forte. A trois nous réussîmes à faire céder, non pas une mais deux planches, qui tombèrent lourdement à nos pieds, se délestant par la même occasion de leurs attaches inefficaces et totalement inutiles à présent.


En s'agenouillant, nous pouvions atteindre la clenche de fer, vétuste et rouillée elle aussi, mais avec la certitude que cette dernière résisterait et mettrait fin à notre folle expédition. Mais à notre grande surprise, celle-ci, céda avec une facilité déconcertante, comme si elle attendait ce moment telle une véritable libération, afin pour une derrière fois tenir son rôle.


La porte s'entrouvrit mais pas totalement. Quelque chose semblait empêcher son ouverture complète, mais dans l'espace libéré par notre poussée, nous pouvions nous glisser à l'intérieur, ce qu'un adulte n'aurait probablement pas réussi à faire.

Nous nous extirpâmes de cette étroite ouverture, découvrant que le fameux obstacle empêchant l'ouverture n'était qu'un morceau du parquet, relevé et s'appuyant contre la porte, et découvrîmes avec stupeur l'intérieur impressionnant de la maison.

Nous étions dans ce qui semblait être la pièce principale, une grande salle dominée au fond par une grande cheminée dont le foyer semblait pouvoir recevoir un arbre entier dans son antre.

Au milieu trônait une grande table en bois massif et quelques chaises renversées, recouvertes de poussière et d'une imposante multitude de toiles d'araignées, qui d'ailleurs recouvraient en grande partie cet univers d'obscurité partielle et de silence assourdissant.

Mais nos yeux enfantins, déjà étaient attiré par ce qui se trouvait au-dessus de nous. Lentement je levait la tête, doucement j'aventurais mon regard vers le plafond, jusqu'à l'énorme poutre qui s'y trouvait, parcourant l'espace de part en part.


Mi effrayé, mi-excité, je découvris, non sans un étrange mélange de déception et de satisfaction, qu'aucun corps désincarné ne pendait là. Je regardais mes compagnons et pour la première fois je vis se dessiner sur leur visage un sourire.

Bientôt ils se mirent à rigoler franchement et s'activer dans cette grande pièce, pourchassant ici une araignée trop curieuse, fouillant les moindres recoins comme si il y avait en ces funestes lieux quelque trésor inestimable caché. Mais moi je conservais mon silence, aussi curieusement que cela puisse paraître, je ressentais une curieuse impression dans cet endroit inhabité et pourtant encore tellement plein de choses du passé qui semblaient, non pas être mortes ou abîmées, mais paraissaient attendre que quelqu'un revienne ici afin de leur redonner vie.


Dans l'air ambiant, la poussière semblait follement s'amuser avec les rayons que la lumière projetait à travers les fines ouvertures laissées libres entre les planches condamnant les fenêtres. Les rires de mes camarades me parvenaient, mais comme étouffés, comme si dans cette pièce, les sons étaient ralentis ou plus précisément, me parvenaient au travers d'un mur invisible, béton de particules mortes.


Je m'avançais dans cet endroit, m'approchant de l'énorme cheminée, les sens en éveil, humant cette odeur particulière que possèdent ces maisons trop longtemps laissées à l'abandon, sans aucune âme vivante pour les réchauffer, posant mon regard sur chaque pierre composant les solides murs de cette bâtisse, écoutant le moindre bruit inconnu ou suspect, laissant mes doigts aventuriers, frôler les meubles anciens.


Arrivé face à la cheminée, moi petit garçon du haut de mes sept ans, je restais comme paralysé par l'impression de puissance et de grandeur que me faisait ressentir ce monument dédié aux gigantesques flammes, que j'imaginais dansant les soir d'hiver, s'élevant jusqu'en haut du conduit, essayant de s'évader par l'étroite cheminée tout là-haut sur le toit craquant sous le poids du manteau de neige immaculé, léchant les parois de pierres taillées et diffusant une chaleur réconfortante et protectrice, qu'il me semblait ressentir à cet instant. Je détournais mon regard de ce fabuleux spectacle invisible et avec stupeur, découvrais sur ma gauche, le long du mur, un escalier...


Comment avais-je fais pour ne pas l'apercevoir, tout comme mes amis d'ailleurs. Je m'approchais lentement de lui et posais ma main sur sa rampe, froide et recouverte de poussière, mais paraissant encore solide. Les marches par contre n'avaient pas résisté à l'usure du temps, ou devenues tout simplement inutiles, avaient abandonnée tout espoir de supporter le poids amical d'un corps, l'aidant à parvenir au premier étage.


Je posais le pied sur la première marche, doucement, très lentement, m'attendant à voir mon petit pied à traverser cette surface sombre de bois pourri, mais une fois de plus je fut étonné : je me tenais debout sur la première marche qui résistait malgré son sinistre craquement.

Je posais ma main plus loin sur la rampe et elle se mit à très nettement à bouger, me faisant alors une légère frayeur, car déjà mon pied s'élançait à la conquête de la seconde marche.

M'immobilisant, je relevais la tête afin de m'assurer d'un regard que la rampe n'allait pas céder sous mes efforts, remontant mes yeux jusqu'à son arrivée sur le palier supérieur, où pensais-je elle devait être fixée à un mur, je découvris que quelqu'un, quelque chose se tenait là, juste au-dessus de moi, immobile, silencieux mais pourtant bien présent.

Je ne saurais dire avec exactitude si ce moment fut bref ou pas, mais il fut assez intense pour faire bondir mon cœur hors de ma petite poitrine d'enfant, m'empêchant le moindre mouvement, pas même celui pourtant naturel des paupières.

En haut, comme dans une étrange vision, au milieu des poussières dansant dans la lumière provenant probablement du toit percé ou de la fenêtre au volet ouvert, un visage me fixait, une femme me sembla-t-il, mais là je ne saurais dire si à cet instant, le sentiment d'excitation procuré par cette aventure et la légende concernant l'endroit où je me trouvais, n'influencèrent pas mon jugement...


Retrouvant mystérieusement mes forces, je me mis à reculer jusqu'à me cogner la tête contre le mur derrière moi et qui à son contact me fit bondir malgré la douleur qui émanait de mon crâne, en fait un trou d'où le sang allait abondamment s'extirper et dont la cicatrice encore présente et bien visible, est la seule preuve irréfutable de mon expédition, je me précipitais dans la pièce vers la porte, criant quelque chose en passant près de mes amis, probablement surpris voir effrayés par mon étrange comportement, et réussissais à sortir de la maison en raclant la porte avec mes genoux dénudés par le port d'un short , furent immanquablement égratignés.


Je me retrouvais dans la cour et courant à perdre haleine, je ne me retournais pas de peur de voir à la fenêtre ce visage, ne m'arrêtant que sur le pas de la porte de ma maison où quelques instant après mes camarades me rejoignirent, amenant avec un eux leur flot de questions et d’incompréhension...