dimanche 5 avril 2009

Chapitre 5

Chapitre 5

Quelques fantômes, rien d'autre...



Même si certaines douleurs semblent parfois insurmontables, seules celles provenant de la perte d’un être cher le sont réellement. Non pas que toute autre forme de souffrance morale soit à négliger, mais au plus profond du doute, au plus proche de toute vérité, seule la mort est un fait tangible et invariable dans sa finalité et ses conséquences.

Après la mort, il ni a rien, juste un cadavre fait de chair froide et au regard inexpressif, juste un inconnu mais qui jamais plus n’influera sur le cours de notre existence et qui pourtant continuera à être bien trop présent, quand la nuit se fait longue et que la solitude se fait trop pesante.


Derrière la porte de la chambre, étendu sur son lit, semblant s'être assoupi, mon père gisait inanimé, parti loin de moi, trop loin de moi, auprès de ma mère. Me laissant seul avec ces innombrables regrets, toutes ces phrases inutiles et ces mots n'ayant plus aucun sens à présent. Sentiment étrange et troublant sur ce départ annoncé qui m'assaille dès à présent, brisant mes jambes de verre, effilochant mon cœur de soie et tissant autour de moi sa toile de vide affectif.


Pourtant je connais bien cette main glaciale qui lentement et cruellement, tel un chirurgien implacable n'ayant jamais connu Hypocrates, a vidé ce corps usé de toute vitalité. Doucement un voile est descendu sur son regard, comme le rideau à la fin d'une longue représentation dont l'impact et toute sa substance ne sera comprise que bien plus tard, trop tard.


La Montagne des Regrets que je croyais pourtant déjà avoir gravi au départ de ma douce mère, dans ce matin blême se dresse une fois de plus au loin, obscurcissant mon horizon, allongeant inexorablement ma nuit dans une morbide torpeur. Délivrance de sa geôle des douleurs dont la clé était enfouie au fond de ses entrailles, pour me laisser là face à ce corps inutile, vide et étranger.

Pourtant si tout cela ne m'était déjà plus inconnu, ce contact froid et rigide, cette odeur particulière imprégnant les pores de ma peau frissonnante et cette absence dans ce regard éteint, j'ai appris comme un élève trop doué et trop discipliné, que chaque douleur profonde à sa propre saveur et sa propre cohorte de fantômes languissants.

Même si les mots restent les mêmes, qu'ils sont vains et vides de sens, trop souvent ils ont raisonné dans ma tête :
Cancer, chimiothérapie, métastase, diagnostique, il faudra être courageux, vomissement, perte de mémoire, incapacité respiratoire, arrêt respiratoire, sincères condoléances, désolé, courage, nous sommes de tout cœur avec vous, il faudra être courageux...
Mais je ne veux pas être courageux, juste redevenir ce petit enfant pour me blottir, recroquevillé sur ces souvenirs et laissant mon âme blessée se vider de ces flots , noyant mes yeux, imbibant ma peau de leur sel, brisant mon corps par ces sanglots et ses soubresauts, non aucun courage juste se retourner lâchement et se laisser partir.


Malgré tout, dans une solitude intime et un mutisme émotionnel, il faut affronter les journées qui arrivent comme une punition, car l'enfant n'a pas été sage, car l'adolescent s'est trop élevé contre les murs de cette autorité suffocante, car l'adulte n'a jamais su comment justifier l'existence qu'il menait, empilant les erreurs et les déceptions sans jamais rien d'autre à offrir à ces parents amants que ses grands yeux tristes et ces rires parfois réconciliateur.
Puis quand le calme semble enfin revenir auprès de soi, quand la nuit vient lécher les vitres embuées de la petite chambre, ce n'est pas le sommeil qui se cache dans le trop grand lit vide et froid mais d'autres ennemis, bien trop présents dans mes heures lunaires.


La première fois la douleur et l'inacceptable disparition de ma mère m'avait amené une armée de fantômes lourds et lents dont chaque geste et chaque mot semblait être choisi avec une justesse et une cruauté abrutissante.
Comme une chape de plomb qui par son poids et son étendue, me poussant à bout nuits après nuits, semblaient vouloir s'extraire de mon cerveau par les yeux, par de petits et minces filets de larmes silencieuses......mais ne trouvant pas le supplice à leur goût, ces fantômes, renforcés par d'autres plus anciens, revenaient toujours plus forts et plus nombreux à chaque disparition de l'astre solaire, quand l'horizon s'embrase dans un ultime espoir désabusé, réduit en poussières célestes que dame Lune répand généreusement dans sa douce nuit.


Mais les fantômes qu'aujourd'hui je dois affronter, ne sont pas les mêmes, moins nombreux mais bien plus véhéments et plus soudains. Ils ne vivent pas en moi, encore trop de leurs amis décharnés hantant mon organisme, comme une véritable invasion bactériologique sans remède, mais se cachent autour de moi, là où mon regard, ou n'importe lequel de mes organes avides de sens, viendrait à s'aventurer avec un peu trop d'insistance. Sur ce fauteuil vide à jamais, face a cette télévision diffusant ces émissions déjà trop partagées ou dans cette cuisine où vers la fin de rares mais précieux rires défiguraient ce doux visages aride et épuisé.
Au moindre faux pas émotionnel, ces nouveaux ectoplasmes plantent leurs longues lances d'amertume au fond de mon cœur, là où les souvenirs et les regrets, dans une longue farandole, s'enlacent et se séparent pour mieux se fondre jusqu'à ne plus être dissociable.


Comme un enfant perdu, du sommet de mon château de papier, lentement je retire mes derniers soldats de plomb qui me préservaient encore, pour offrir les clés de ma place forte à ces envahisseurs, venus d'un lointain passé mais bien trop présent pour que je tienne encore ce siège incessant, connaissant trop intimement les moindres faiblesses de ma fortification de coton pour que je puisse négocier la moindre armistice et ne pouvant espérer aucune clémence, j'abdique sans aucune condition, acceptant cette servitude morbide sans aucun autre choix, ni aucun échappatoire.

Seul face à cette porte où déjà se pressent les hordes de fantômes, je baisse la tête et doucement je referme mes paupières, je clos mes yeux sur ces visages d'autrefois...


Rester là, aux côtés de ces êtres qui vous ont offert la vie et regarder la leur s’éteindre inexorablement, cacher ses larmes et ces inquiétudes abrutissantes, et ne rien pouvoir leur donner, si ce n’est cette présence, bien inutile face à la brutalité de leur souffrance.
Car cette mort n’est pas soudaine, mais d’une lenteur abjecte, comme si tout cela ne pouvait finir autrement….

Tenir leur main, comme si ce simple geste pouvait les retenir de l’attraction funeste, de cette ombre ténébreuse qui déjà voile leur regard épuisé, leur souffler quelques mots tardifs mais pourtant sincères en espérant que leur sens trouve encore une valeur dans leur esprit affaibli mais surtout, surtout s’aveugler les sens pour ne pas fuir comme le petit enfant que nous sommes face à tant de cruauté.

Mais la vie ne s’arrête pas à ses considérations intimes et douloureuses, elle poursuit son avancée vers un lendemain toujours plus pénible et difficile à concevoir, sans aucune envie, ni rien à partager, ni offrir.
Juste, comme par automatisme, se lever, s’appliquer aux taches routinières et si les regards se font trop pressant, juste détourner la tête, ne pas répondre à ces marques d’affection empreintes de l’immonde pitié, qui l’espace d’un instant, changera la douleur en une rage, amenant souvent l’incompréhension et parfois d’autres regrets.

Juste ne rien montrer, se barricader dans son château de sable, en guettant au loin, juste au bout de l’horizon, la vague qui engloutira mes ultimes défenses…

10 commentaires:

  1. Bonsoir Juan!
    Je me rends compte que je suis en retard dans mes lectures!!! depuis la dernière fois j'espère que tu va bien.
    Cet article est éprouvant tellement il me touche en plein coeur. Il fait écho en moi à des peurs qui me sont très présentes et la façon dont tu parles de la disparition et du manque de tes parents est très poignante. Bravo!
    J'ose à peine imaginer ce que tu as traversé, car la grande peur que je nourris depuis toujours est celle de perdre mes parents, et mon père en particulier. Ma mère aussi, bien sûr, mais quand je pense ne serait-ce qu'une demie seconde à la mort de mon père, je suis capable de fondre en larmes instantanément...
    Les descriptions que tu fais de tes sentiments, de tes fantômes me paraissent bien trop réels, car je pense qu'on ne s'habitue jamais à ces événements.
    Bravo en tout cas pour l'expression de ces sentiments, dans cette façon réellement poignante que tu as choisi de le faire (ou comme tu as pu le faire, naturellement)...
    Tu parviens au-delà de la douleur inconsolable à exprimer quelque chose de plus et les images que tu choisis pour le faire sont très évocatrices et brillamment utilisées.
    Chapeau, Monsieur Juan!
    Quand on est enfant, on s'impatiente de grandir, et c'est quand on est enfin adulte qu'on réalise qu'en grandissant on s'est éloigné du paradis.
    A très bientôt, Juan!!!
    Marie

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  2. Pour compléter la dernière phrase de mon commentaire, on dirait qu'il est toujours soit trop tôt, soit trop tard pour être heureux...
    ;)

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  3. Hello Marie ^^
    Pour le retard pas de soucis, sur ce point je ne fais pas mieux !
    Merci infiniment pour les mots et les compliments surtout sur ce texte qui m'a été vraiment difficile et douloureux à mettre sur papier (mlle Zubrowka m'a bien aidé sur ce coup ^^).
    Merci aussi de bien avoir voulu prendre le temps de me lire et de réagir car cette perte est probablement une des épreuves les plus pénibles de mon existence (faudrait créer un top10 des trucs les plus pénibles tiens ^^).
    La peur que tu as sur la perte de tes parents est naturelle et légitime mais justement ce sentiment devrait en théorie te rapprocher d'eux (même si avec ta mère cela semble plus compliqué), te faire ressentir l'extrême importance de leur présence et pardonner plus facilement certaines choses (d'autres je suppose ne le seront jamais...).
    Bien que cela semble plus aisé à dire qu'à mettre en pratique, je t'asure que c'est une chose à tenter tant qu'ils sont encore là.
    Aussi étrange que cela puisse paraitre mais la mort de mon père m'a affecté bien plus durement que celle de ma mère.
    Pourtant avec elle j'avais une relation magnifique et très complice contrairement à celle que j'avais avec mon père.
    Je crois que c'est le poids des regrets qui fait la différence, qui apporte un "bonus souffrance" au bout du compte...
    J'aime beaucoup ta phrase :
    "Quand on est enfant, on s'impatiente de grandir, et c'est quand on est enfin adulte qu'on réalise qu'en grandissant on s'est éloigné du paradis." car elle est très juste si on y réfléchi bien.
    Mais finalment la vie continue, même si cette idée sur le moment me semblait immonde et inacceptable, il y a au fond de nous une forcve qui nous pousse en avant, même lorsque l'esprit est assomé par la douleur, on continue à avancer et quelque part il y a là une terrible injustice.
    A très vite Marie, par ici ou par là, tant que nos chemins se croisent sur ces papiers virtuels ^^

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  4. Et oui Marie j'ai aussi cette sensation qu'il est toujours soit trop tôt, soit trop tard pour être heureux...et c'est là probablement la plus belle blague que la vie nous fait continuellment.
    Encore faut-il avoir un certain sens de l'humour pour en apprécier certaines finesses, et il n'est pas rare que certaines nuits je n'apprécie guère cet humour là.
    Mais bon parfois il suffit de peu de chose pour trouver un peu de bonheur, ne serais-ce qu'un sentiment de joie, rien que le fait de partager certaines émotions au travers de nos textes et nos histoires sont déjà un joli pied de nez à cette bonne blague.
    A bientôt Marie pour ne pas laisser le dernier mot aux aléas de mâitre Temps.

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  5. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

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  6. Merci pour ce que tu dis! tout ce que tu dis! J'approuve!
    Pour ce qui est de mes parents, j'ai conscience que tout pourrait s'arrêter du jour au lendemain. Mon expérience me la fait toucher du doigt et je n'en veux à personne, pas mêmeà ma mère. Je lui pardonne tout. Ce ne fut pas toujours le cas, mais c'est précisément parce que j'ai pris conscience que la vie peut s'arrêter d'un claquement de doigt que cette démarche s'est mise en place d'elle-même, ce qui n'exclue pas qu'il ait fallu de ma part un certain travail sur moi-même, surtout quand ma mère est spécialiste pour fuir la réalité. Si tu l'entends parler d'elle à d'autres, c'est à peine si elle n'a pas été une mère modèle pour nous... Disons que j'ai réalisé qu'elle ne fera jamais aucun effort pour éclairer les zones d'ombre, pour expliquer un peu ses gestes, parce que je crois sincèrement qu'elle ne comprends rien elle-même à sa propre vie et ne cherchera jamais à faire un travail sur elle-même. J'ai fait le deuil d'une "réparation", d'un mea culpa de sa part, et je m'en sens beaucoup mieux, plus légère. Je vis avec mes parents comme si rien ne s'était jamais passé, je tente de profiter de chaque instant avec eux, et c'est peut-être là la clef d'un espace de bonheur partagé. La rancoeur ne sert à rien sinon à ajouter du malheur à celui qu'on connaît déjà bien assez!
    En tout cas, merci pour ce riche partage, Juan!
    C'est très largement apprécié, surtout dans no sociétés où plus personne ne prend le temps d'écouter et partager un peu d'empathie...
    A très bientôt, Juan, sur un papier crêpon, papier carbone, un p'tit papier ou un virtuel...

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  7. Hello "Memoirs of a Heroinhead"...c'est un peu triste un commentaire supprimé.
    Je suis passé sur votre blog mais mon anglais ne me permet malheureusement pas de poster le moindre commentaire un tant soit peu valable...et là je regrette mes cours d'anglais que je ne suivais qu'avec un intérêt vraiment limité.
    A bientôt peut-être si je trouve un moyen de surmonté la barrière de la langue..er

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  8. Mais de rien Marie...vraiment ravi que tu approuves !
    Je crois qu'en disant cela

    "Je vis avec mes parents comme si rien ne s'était jamais passé, je tente de profiter de chaque instant avec eux, et c'est peut-être là la clef d'un espace de bonheur partagé. La rancœur ne sert à rien sinon à ajouter du malheur à celui qu'on connaît déjà bien assez!"

    tu as tout dis...

    Et pour le partage tu m'apportes une bien belle contribution non seulement en venant par ici mais également en m'offrant la possibilité de lire tes écrits que j'apprécie vraiment...

    A bientôt Marie pour d'autres partages et je te laisse le choix du papier, tu es l'artiste car je viens de découvrir que tu étais peintre.
    J'espère que j'aurais l'occasion de découvrir tes œuvres...

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  9. Ah oui,comment as-tu découvert que je peins???je suis curieuse!!!

    Alors si tu veux voir quelque chose, suis ce lien :
    http://www.saatchi-gallery.co.uk/yourgallery/artist_profile/Marlin+D-chaux/11650.html

    A bientôt !!!

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  10. J'ai mené une longue enquête pour découvrir que tu étais peintre, cela m'a prit un temps fou mais au final...j'ai simplement lu ton profil sur blogger ^^LOL
    Merci pour le lien...

    Je viens de passer un moment devant tes œuvres et je dois avouer que j'aime bien ce que tu fais et beaucoup ces peintures-ci:
    Monochrome Man, Les Émotions Toxiques et Le Boa

    Je ne suis pas un connaisseur et je ne fonctionne qu'au ressenti, qu'à l'émotion face à une peinture, une sculpture, une photographie.
    Ces deux tableaux m'ont vraiment troublé.
    J'y ressent un mélange attirant et "effrayant" à la fois. Une sensualité à fleur de peau mais tourmentée...vraiment très attirantes ces œuvres.

    Après Marie talentueuse "écrivain", je découvre Marie talentueuse peintre...tu es vraiment une artiste au sens le plus noble du terme.

    A bientôt pour d'autres découvertes Marie et vraiment ravi de t'avoir fais ta connaissance ^^

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