dimanche 12 avril 2009

Chapitre 6

Chapitre 6

Au commencement...



Aussi loin que je me souvienne, je n’arrive pas à me remémorer une période de ma vie où j’aurais pu affirmer sans la moindre hésitation que j’étais heureux, où que tout du moins ce sentiment faisait parti de moi.

Juste pour pouvoir me rattacher à quelques vieux souvenirs au goût de bonheur, pour réussir à attraper au vol un sourire salvateur, quand la nuit froide et solitaire vient à me torturer plus que de raison, enfonçant ces longs doigts décharnés au plus profond de mon être, tournant et retournant ces moments cruels où je n’étais rien, seulement une âme perdue flagellée jusqu’au sang par la trahison et le mensonge, par l’incompréhension et la frustration.
Quand l’insomnie vient à s’inviter au cœur de ma nuit, mon esprit cherche en vain à repousser ses assauts destructeurs, se cachant derrière ces instants perdus de l’enfance, quand tout était insouciance, que le monde semblait un vaste terrain de jeu excitant et effrayant, que les adultes semblaient être un refuge accueillant et salvateur contre les doutes et les peurs nocturnes mais où, très vite, la vie allait m’enseigner certaines leçons, que même si je ne comprenais pas le sens profond alors, allaient définitivement changer le petit garçon que j’étais, l’adulte que je suis à présent.

J’étais né à Paris un bel après-midi de 1969, de parents espagnols ayant émigrés pour diverses raisons et ayant fini par se rencontrer dans la grande capitale, allant jusqu’au mariage, chose parfaitement normale à l’époque mais qui au final fut source de bien de regrets et de douleurs pour ma mère, bien que l’amour que mon père lui porta sa vie durant fut sans faille.

Mais il ne suffit pas d’aimer pour que l’autre soit heureux, il ne suffit pas de quelques mots ici où là dispersé par le souffle de la vie pour que ce puissant sentiment offre un partage pouvant combler les aspirations d’un cœur. Oui mes parents s’aimèrent sincèrement, mais aussi loin que je porte mon regard d’enfant, d’adolescent ou d’adulte, rares sont les moments où je les vis heureux ensemble…
De cette période de ma vie, embryonnaire tant mes souvenirs sont rares, je garde ici où là quelques images, celle de ma mère partant faire quelques courses à l’épicerie proche et qui s’arrêtait en chemin pour me faire un petit signe de la main, signe que je guettait avec une certaine impatience, posté derrière la fenêtre de notre petit appartement dont je ne garde pas le moindre souvenir. Autre image celle de mon père repartant à son travail après le déjeuner prit à la maison et qui lui aussi nous saluait avec un large sourire du bas de la rue, comme un enfant malicieux qui s’apprêtait à nous jouer un bon tour.

Derniers souvenirs de cette petite enfance passée dans la capitale et curieusement ces gestes d’au revoir, bien que joyeux, sont les seules traces vivant encore en moi, seules preuves de cette courte période de mon existence.
Suite à une déconvenue professionnelle de mon père, nous partîmes habiter un petit village mosellan où étaient déjà installés un oncle et une tante, qui permirent à mon père de retrouver, non seulement un emploi, mais également une partie de sa famille.

Curieusement dans la même région ma mère avait un frère dont l’épouse s’avérait être ma marraine, chose très mystérieuse pour moi, sans compter que j’appris le sens d’un mot que j’avais entendu souvent prononcé par mes parents : cousins.
C’est dans se petit village au nom de Manom, que je passais toute mon enfance, là dans ce cadre campagnard, au milieu des champs et d’une belle foret, non loin d’un petit ruisseau allant se jeter comme un amant follement épris dans la rivière s’écoulant à quelques mètres de là, que j’imprégnais mon corps et mon âme de nombreuses sensations à la fois merveilleuses et douloureuses qui lentement et de façon imperceptible, allaient façonner l’être tourmenté que je suis à présent…
Très tôt vers l’âge de 6 ou 7 ans, je fus amené à considérer l’amour d’un père et celui d’une mère, avec l’idée qu’ils étaient, non seulement différents, mais parfois antinomique.

Si jamais je ne pourrais reprocher à mon père son courage, sachant qu’il avait immigré après avoir perdu son exploitation agricole en Espagne après une terrible tempête, jour pour lui où il maudit Dieu et ses saints, tel un Vlad ibérique, se détournant définitivement de la sacro-sainte religion, dont pourtant son peuple était d’une ferveur presque idolâtrique et les heures de labeurs accomplis pour que notre famille ne connaisse jamais la faim, ni un certain niveau de confort, bien que peu élevé, mais suffisant pour garder la tête haute face aux regards des voisins et autres commerçant de notre village, trop rarement je fus l’objet d’une affection débordante de sa part.

Il était l’autorité, le bâtisseur de la route que je me devais de suivre sans le moindre questionnement et l’exemple même de la droiture, mais qui pour un petit garçon n’était rien d’autre que de la sévérité et parfois de la peur…..sentiment inexplicable car jamais il ne m’a frappé mais parfois certains comportements ou attitudes sont bien plus violents et bien plus marquants.
Jamais je ne lui ai avoué cela, même lorsque la mort se tenait à mes côtés quand je le veillais dans les derniers instants de son image symbolique de paternel, dernier pont entre un passé familial et l’orphelin que je m’apprêtais à devenir. Car il ne me restait plus rien d’autre depuis le décès de ma mère, juste cet homme qui dans ces derniers mois de souffrance fit enfin preuve d’une étonnante et désespérée affection à mon égard, allant jusqu’à m’avouer non seulement son amour pour moi, mais la gratitude et la fierté qu’il ressentait dans ces instants en voyant le fils que j’étais devenu. Mots terribles, destructeurs, pulvérisant mon être tout entier, tant la violence de ces déclarations allaient à l’encontre de tout ce que j’avais pus ressentir venant de cet homme, tellement présent dans ma vie, mais tellement étranger de toute forme de complicité partagée et du moindre geste de reconnaissance ou simplement d’acceptation de nos différences.

Pourtant dans son regard triste où l’épuisement avait déjà installé ses quartiers, il ni avait aucun doute concernant la sincérité de ses propos, aucune duperie où que sais-je encore. Cet homme, mon père, dont l’aridité du cœur semblait être un fait établi de longue date, n’avait en réalité jamais su, pu ou voulu laisser ses sentiments effleurer la surface de son regard ou laisser la moindre empreinte dans ses bras musclés peu enclins à entourer mon corps d’enfant d’une affection salvatrice…

Mon enfance ne fût pas un calvaire mais certains manques, certains évènements m’ont à jamais détourné de la voie que j’avais espéré suivre, de ce chemin peuplé de rêves innocents, de rire infiniment réparateurs et de découvertes merveilleuses dont chaque âme enfantine voudrait se repaître tant elles apportent de promesses et de songes fabuleux.

Malgré toute la tendresse d’une mère vouée à l’amour de ses enfants, toute l’abnégation de cette femme, dont la vie n’avait de sens que par ma présence, j’allais brutalement découvrir que la vie est une joueuse sadique, qui donne et prend comme bon lui semble, choisissant l’instant crucial où tout semble apaisé, où le sentiment de plénitude est au plus haut, pour frapper violement ceux qui se laisse à rêver, sans la moindre distinction entre les bourreaux et leurs victimes, offrant de douloureuses leçons qui resteront à jamais gravées dans le cœur d’un petit garçon, ne sachant pas ce que certains mots voulaient signifier, mais ressentant trop parfaitement les conséquences de ces moments indésirables, mais siens à présent.

Au cœur de mon enfance allait naître l’adulte que je suis, affrontant pour la première fois le sentiment d’exclusion, l’incommensurable besoin d’affection, l’existence du désir charnel et la découverte de deux fabuleux amis : la nuit, dangereuse et effrayante tant elle paraissait profonde et silencieuse, et le vent, complice et réconciliateur, tant il apaisait mes sanglots et séchait mon visage de ses chaudes larmes, trop souvent présentes dans ma mémoire.

Au cœur de l’enfance, j’allais découvrir la violence des adultes, les premiers mensonges inutiles et la proximité de la mort.

7 commentaires:

  1. Eh bien, Juan, encore un beau texte sur les manques liés à l'enfance.
    Le passage où ton père ose enfin t'avouer son amour et faire preuve d'affection est très beau, très touchant et sonne tellement vrai. Au sens qu'on imagine très bien que le moment où la fierté s'en va, où plus rien n'a d'importance que les sentiments que l'on a pour les siens, est bel et bien le moment où l'on part. Tout départ, je pense, est sujet à ces effusions de sentiments, de déclarations. Pensons un peu aux départs sur les quais de gare, les amoureux ou les familles qui tardent à se séparer, les sanglots, etc. Je pense aussi à ce que tu dis au début de ton article quand tu évoques les souvenirs persistants des au revoir de tes parents. Je crois que les départs sont des choses tristes en général et un enfant y est d'autant plus sensible qu'il a un attachement sans borne à ses parents.
    Tu parles aussi de ton père comme de quelqu'un que tu ne reconnaissais pas sur son lit de mort. Je peux comprendre ta déception sur l'instant. Peut-être parce que pour toi, voir ton père céder à l'émotion, c'était avoir un étranger en face de toi. Et j'imagine qu'on veut partager les derniers instants de son père avec l'homme qu'il a été, quelque fût son caractère.
    Quand tu dis que ton père ne montrait pas ses sentiments et qu'il t'inspirait la crainte malgré le fait qu'il ne t'ait jamais frappé, je pense que c'est le propre des hommes charismatiques d'inspirer la crainte sans qu'il n'ai besoin d'aucune démonstration de force ou de supériorité. Mon père est ainsi (encore qu'il montre plus de choses depuis nos déboires avec ma mère) et je me souviens qu'il était l'homme que je craignais le plus sur Terre quand bien même c'était ma mère qui nous donnait des fessées. Mon père n'avait pas à nous fesser pour que nous obéissions, il n'avait même pas à élever la voix. Il n'avait qu'à dire et nous obéissions sans broncher!
    Merci pour ce beau texte, et à très bientôt, Juan!!! En semaine comme en week-end...

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  2. hello Marie (ma seule et fidèle lectrice^^)
    Mon père était quelqu'un de bien dans le fond mais qui n'a jamais su ou voulu évoluer avec son temps. Un homme sévère, parfois trop et à force de ne rien montrer a fini par s'éloigner de moi. D'ailleurs j'ai tout fait pour ne pas lui ressembler...même si aujourd'hui je constate que certaines choses de lui sont en moi (et finalement ce n'est pas plus mal).
    Je ne sais pas si finalement lui et moi aurions pu être vraiment proche, mais j'aurais vraiment aimé cela...
    En tout cas merci pour ces mots et ces compliments, c'est un bien précieux de nos jours.
    Et même si l'écriture est une chose très personnelle, le fait d'être lu m'apporte un sentiment de "réconfort" comme si tout cela avait un autre but que simplement celui d'être écrit.
    A très bientôt pour la suite de mes/nos aventures d'un journal à l'autre...

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  3. très bien écrit
    je te reconnais un véritable don d'attacher par ton écriture
    j'aime beaucoup

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  4. j'oubliais
    j'aime bcp cette phrase
    "la découverte de deux fabuleux amis : la nuit, dangereuse et effrayante tant elle paraissait profonde et silencieuse, et le vent..."
    pour mon compte c aussi la nui et la mer qui berce mon coeur, torrente mes désirs et assagit mes rancoeurs

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  5. Ta seule lectrice, disais-tu? ;)

    Tu vois bien que tu es accrocheur!!! ;)

    En tout cas je te rejoins sur l'idée qu'être lu donne une autre dimension à l'écriture. Je n'ai jamais écrit avant, et je pense que la flemme m'aurait certainement très vite gagnée si je n'avais pas été lue...

    Phénomène d'émulation plutôt agréable, non?

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  6. Merci Lilia pour tes commentaires qui me font vraiment plaisir.
    Comme toi pour moi la nuit est un élément important dans ma vie mais également l'océan Atlantique que j'aime passionnément...même si j'habite à 500kms de lui, il ne me quitte jamais.
    D'ailleurs mes éléments vitaux sont la nuit (et dame Lune), le vent (je rêve d'affronter un jour une tornade) et mon Océan (tant pour la vue, que l'odeur et le son des vagues).
    Je te dis à bientôt et je ne manquerais pas de venir te rendre une petite visite sur ton journal virtuel.
    Merci encore d'être passée par ici et à très bientôt ici ou ailleurs...

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  7. Hello Marie ^^
    Et bien quelle belle surprise de retrouver ton commentaire et celui de Lilia...
    J'écris depuis l'âge de 15 ans (pinaise 25 ans déjà...) et j'ai dut mettre sur papier plus de 200 textes dont certains ont fini enterré suite à ma première déception amoureuse lors de mon adolescence.
    J'ai déjà fini un "roman" (un bien grand mot ) parlant d'une partie de ma vie tumultueuse et c'est lui qui à tout déclanché.
    Avant lui le fait d'être lu ou pas m'était bien égal mais depuis j'ai ce besoin de partager en plus de celui d'écrire.
    En tout cas merci de venir me rendre visite à chaque fois, pour que la flemme ne me soit pas fatale.
    Et merci pour le compliment, tu es la première qui me trouve "accrocheur"...lol !
    Et oui pour l'émulation, c'est effectivement très agréable.
    A très bientôt entre deux de tes lignes ou deux de mes mots ^^

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