jeudi 23 avril 2009

Chapitre 7

Chapitre 7

Une dernière valse à trois temps



Malgré mes soucis quotidiens, réels et d’une vulgarité déprimante, je parvenais tout de même à conserver un équilibre précaire mais suffisant pour me cacher dans la masse des anonymes et des disciplinés.
J’avais appris malgré moi à me dissimuler derrière un sourire amical, élevant des falaises d’humour pour que l’assaillant au regard investigateur, ne puisse jamais découvrir l’étendue des terres qui se cachaient là, sauvages et accueillantes, balayées par les vents de la passion et du désir.
Ne plus jamais laisser ce royaume affectif à la merci de quelque conquistador ou autre aventurier trop entreprenant que ce soit, ne plus laisser l’autre me réduire à ce terrible et pourtant si tentant esclavage des sens, d’où je ne pourrais me libérer qu’au prix de douloureux sacrifices, au terme d’un combat intérieur où la raison et le cœur viendront une fois encore à s’affronter, et dont je serais l’unique victime.

Schizophrène équilibriste, à la limite de la rupture entre deux univers distincts, que seul un câble trop fin tente de relier, et qui à la moindre hésitation, à la moindre défection de mes défenses de fumées, risque de se rompre, me plongeant vers ce gouffre où la solitude me guette amoureusement, où la perfide aliénation sera ma dernière amie, et ne me laissant presque jamais en paix, ne m’autorisant que trop rarement à retirer mon masque.
Clown triste au regard perdu, ne fixant jamais l’autre de peur de lui révéler un terrible secret : j’existe…

Alors continuant mon tour de piste sous les rires de l’assistance conquise, je pleure sous mon fard, je laisse mes derniers espoirs dans ces soirées où il ni a rien à espérer, rien à attendre, si ce n’est que le carillon résonne et que je puisse enfin m’enfuir avant la transformation mais surtout, surtout en ne perdant pas mon soulier de verre. De trace je ne vous offre que ce souvenir joyeux et cet ultime sourire rassurant, pas d’inquiétude tout va bien, je vais bien et l’ordre établi ne sera pas bouleversé.
Pas ce soir, pas ici, pas avec vous…

Cette nuit quand vous vous endormirez après avoir goûté à la chair de vos compagnons ou autres amants, je serais encore là, sans aucun artifice, seul face à mon âme miroir et tant bien que mal je panserais mes plaies et dans un dernier rire, je laisserais venir à moi ces sanglots, ultime cri nocturne, pour garder cet infime espoir que tôt ou tard, mais avant qu’il ne soit trop tard, mon regard plonge dans celui d’une âme amie, juste pour ne pas regretter tout ce temps passé à laisser ces soupirs envahir mon attente solitaire.

Si parfois quand l’aube s’infiltrait doucement à travers les fentes de mes volets, dévoilant juste-là, près de moi, le corps assoupi, d’une déesse déchue, d’une princesse sans royaume où d’une fille égarée, mon cœur ressentait une forme de plénitude que le silence de ces matins rendait follement romantique, mon âme elle se faisait toute petite, se dissimulant tant bien que mal loin de mes yeux, juste pour m’offrir ces moments de répits, tant l’issue paraissait évidente et bien trop connue.

Si par le passé j’avais cette force de croire en l’autre, en l’amour qu’elle pouvait me porter et l’affection qu’elle voulait bien m’offrir et dont la gratuité multipliait toute la valeur, au fil des années, j’ai enfin compris que cela ne durerait pas et que le coté éphémère de ces offrandes, ne m’apporterait que d’immondes regrets et de terribles questions.
Jamais je n’ai su conquérir une fille en lui offrant la moindre parade amoureuse, le moindre numéro de prestidigitateur ou une longue litanie emplit de flatterie simplement guidée par un désir pour cette affolante chair. Même si à une époque presque oubliée, j’étais un manipulateur sans vergogne, un être aux plans machiavéliques et aux fabuleux mensonges, n’épargnant aucune douleur à mes victimes féminines quand mon plaisir était repu.
Mais cela ne dura qu’un temps, tant ce personnage n’était pas moi et me détruisait lentement, annihilant toute spiritualité que mon âme s’efforçait de conserver.

Dragueur jamais je ne le fut mais probablement un charmeur, captivant l’attention par mes mots, mes silences ou mes regards.
Comme une danse sensuelle où l’effleurement tant physique que du simple regard, faisait naître une délicieuse et douloureuse attente qui me menait à des aventures passionnelles, violentes, sans concessions, dont la folie des rapports et des désirs pulvérisaient toute retenue ou toute crainte.
Je ne sais pas pourquoi mais cette forme de combat amoureux, de guerre des sens est pour moi la seule façon de ne pas me souvenir que mon âme, elle, continue de soupirer, malgré ces moments purement charnel, malgré la puissance de ce sentiment.
Mais peut importe la relation qui pouvait me lier à ces filles, d’une nuit, d’une vie, au final la similitude de ces échecs m’amenait à mieux comprendre pourquoi jamais je ne pourrais atteindre cette forme de plénitude dont tant je rêvais. Toujours les mêmes mots…

Cette phrase, ce compliment au goût amer aujourd’hui qui avec insistance est venu s’échouer à mes oreilles au fil du temps. Comme un leitmotiv, une évidence aux yeux de certaines et qui, bien souvent me procurait un sentiment de plaisir inéluctable, à présent me répugne quasiment tant je sais ce que signifient ces mots.

Si au début je suscitais une forme de curiosité, un attrait pour toutes ces filles tellement habituées au jeu parfaitement réglé de ces mâles concupiscents, elles finissaient s’effrayer quand elles découvraient ce que je cachais en mon seins. Pourtant dès les prémices de notre relation, elles mêmes se réjouissaient d’une chose et n’hésitaient pas à me le dire à maintes reprises : j’étais différent, je n’étais pas comme les « autres »…

Cette « différence » tellement attirante et nourrissante au début et qui progressivement devenait une tare à leurs yeux.
Non cela n’était pas feins, je suis comme ça, parfois à la limite de certains clichés, parfois au plus haut du firmament de leur existence, tel un oiseau gigantesque planant au-dessus de leur existence, éteignant les astres et les étoiles de leur regard quand leurs paupières se refermaient sous l’insolence de mes baisers. Mais jamais je n’aurais pu devenir cet autre qu’elle espérait voir apparaître en moi, juste l’amant/compagnon, se complaisant à suivre le chemin de la monotone routine, mais dont l’âme avait besoin de se repaître de toutes ces émotions que nous aurions pu partager.

Mais dès que notre union incertaine et passionnée sombrait dans une officialisation trop insistante, face aux regards des autres, je me devais de tenir un certain rang.
Adieu, folie bouillonnante, maladresse déstabilisante, coup d’éclat inutile mais tellement amusant, silence partagés et complices face à l’océan démontée, sourires croisés quand au milieu de la nuit la neige venait à nous surprendre sous les lampadaires de ces rues désertes, adieu à tout ce qui faisait ma différence, juste pour endosser l’habit trop étroit de celui que je ne suis pas mais qui, dans ce travestissement, rassurerait les autres, juste ces inopportuns qui ne sont rien pour moi, qui ne sont que d’inutiles planètes gravitant autour de l’astre de feu qu’était celle que j’aimais.
Mais pourtant cela suffisait à mettre fin à ses rêves, bien que mes sentiments jamais ne se soient voilés d’aucune tromperie, mes lèvres jamais ne se sont égarées dans des nuits d’infidélité, sans que finalement cela ne soit d’aucune valeur lors du procès final.

Je suis un freaks dont l’apparence attirante cache un être dont les aspirations, de par leur pureté et leur puissance, effrayent les autres. Jamais mon corps ne se satisfera complètement de la moindre caresse, aussi douce et aussi perverse puisse-t-elle être, si mon âme ne se reconnaît pas dans le miroir amant de ma compagne.
Trop souvent j’ai délaissé cette partie de mon être, renfermant pourtant mon plus précieux trésor, fragments de poudre de perlimpinpin et morceaux d’étoiles filantes ramassées lors de mon enfance, qui jamais ne se laisseront flétrir, qui jamais ne me quitteront au risque de me perdre à jamais…

La vie très tôt m’a entraîné dans une valse à trois temps.
Sur le premier pas l’esprit menait la danse, s’émerveillant par la découverte de la volupté de ces corps et le goût de ces filles, fleurs sauvages et dangereuses aux milles senteurs mais dont les épines pouvaient vous déchirer les chairs jusqu’aux larmes éphémères.
Sur le second pas, le cœur conduit la danse, accélérant le mouvement, amplifiant les sensations, promulguant la passion au rang de divinité et cherchant bon nombre de voie étoilé dans le regard de ces filles aux corps déjà connus mais révélant à chaque fois un nouvel univers dont la valeur inestimable ne pouvait que le briser lors de sa perte.
Au troisième pas, l’âme impatiente après une si longue attente et avide de cette valse, se retrouvait bien seule au milieu de cette piste, où malgré le rythme entraînant de la musique viennoise, n’avait pour compagne à guider que la solitude et le désespoir.
Rien, ni personne pour enlacer ces merveilleuse sensations à venir, où la passion enflammerait ce nouvel univers, entremêlant soupirs et chuchotements, silences et regards pour enfin apparaître dans le miroir des yeux, portail magique où les trésors de l’enfance brillent de mille feux et enfin retrouvent tout leur sens cachés.

Il y a là-bas cette fille, si proche mais pourtant encore si loin de moi, dont le regard m’invite à la danse, dont le premier pas m’entraînera vers cette cavalcade joyeuse ou peut-être sur le second j’entrerais dans cet univers féerique et désirable mais dont le dernier pas risque d’être encore une fois celui de trop, trop difficile a exécuter, trop intime pour l’accepter.

Cette fille au regard sombre dont l’éclat déjà ne me quitte plus, ne sera peut-être pas mon miroir, mais déjà j’entends l’orchestre se mettre en place et la douce mélodie des violons parvenir jusqu’à moi…

4 commentaires:

  1. BONSOIR
    C UN DELICE DE TE LIRE
    C COMME SI JE PARCOURAIS UN BALZAC OU UN KAFKA
    tout y est mais surtout un grand humanisme derrière un profil bas
    j'aime bcp ta phrase où je m'identifie:
    "Clown triste au regard perdu, ne fixant jamais l’autre de peur de lui révéler un terrible secret : j’existe…
    a bientôt je reviendrai certainement

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  2. Merci Lilia pour ton commentaire.
    Balzac et Kafka euh là je me sens honoré de la comparaison concernant ton plaisir de lectrice mais il me reste tellement de chemin à parcourir avant d'atteindre la cheville de ces messieurs qu'il me faudra plusieurs vies pour y parvenir ^^
    En tout cas je suis vraiment très heureux que tu puisses autant apprécier ce que j'écris.
    Merci !
    A très bientôt...

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  3. Superbe texte, Juan!
    Encore de quoi émerveiller, comme le dit Lilia, notre curiosité de lectrice. Et la comparaison tient la route, sois-en certain!
    C'est un texte très bien construit et l'idée de la valse à trois temps et une très belle image qui ne cesse de transpirer dans l'écriture. Bravo!
    Il y aurait tant à dire, malheureusement je suis assez prise par le temps en ce moment, à mon grand regret!!!
    A très bientôt Juan!

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  4. Hello Marie !
    Merci pour le compliment ^^
    Bon alors je suis le fils caché de la relation entre Kafka et Balzac...c'est un peu glauque comme image en fait ^^
    Je suis ravi d'attiser ta curiosité de lectrice en espérant que au final cela n'engendre une vilaine déception.
    Merci encore pour ta fidélité !
    C'est un peu triste d'avoir encore beaucoup à dire et de ne pouvoir pas le faire...mais bon le fait que tu viennes encore par-ici malgré tout suffit à ma joie un peu égoïste de scribouillard .
    Ah ce maudit temps qui est toujours trop court et ne nous laisse pas profiter de tout ce que nous aimerions faire.
    En espérant que maître de temps de laisse plus de liberté dans l'avenir, je te dis donc à très bientôt, ici ou dans cet hôpital où le suspens devient insoutenable.

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