samedi 6 juin 2009

Chapitre 9

Chapitre 9

Étrange enfance

- Partie 2 -


Quand le lendemain la cloche sonna l'heure de la récréation, je fus comme je m'y attendais la victime de nombreux quolibets et autres moqueries de la part de mes petits camarades de jeu. A ma grande surprise, une seule personne vint me réconforter : Isabelle !

Cette fille dont j'étais secrètement fou amoureux et dont j'avais déjà imaginé mille et une formidables aventures qui m'auraient permis de l'aborder en véritable héros à ses yeux, la laissant pantoise d'admiration, mais sans jamais oser affronter son regard insouciant et parfois espiègle plus d'une demi seconde. J'étais persuadé qu'elle rirait de l'aventurier fantoche que j'étais. Je restais là à la regarder et elle fini par attraper ma main qu'elle secoua, comme pour me sortir de cette léthargie qui m'avait transformé en petit soldat de pierre.

"Tu m'emmèneras voir le fantôme, dis ?", ces mots s'envolèrent de sa petite bouche souriante où tant de fois je m'imaginais déposer un chaste baiser, tel un preux chevalier ayant combattu vaillamment le dragon et finalement réussi à la délivrer du joug de quelconques horribles messires malintentionnés, volute de doux nuages où s'amusaient de formidables oiseaux blancs, là-haut, tout là-haut...
Elle me secoua une fois encore la main et me dit avec une certaine insistance "Alors tu veux bien m'emmener avec toi ?"...
Je m'entendis lui répondre comme dans un songe dont je n'étais que le simple spectateur, emmitouflé dans mon armure de coton, "Oui, bien sur...."
Elle m'offrit un merveilleux sourire, se retourna et s'en alla rejoindre ses amies à l'autre bout de la cour. Je restais là, immobile, ignorant les autres enfants persifleurs. Isabelle occupait tout mon horizon, elle était mon horizon, univers rougeoyant du lever au coucher de l'astre flamboyant...

Deux semaines passèrent et arriva un samedi après-midi mémorable : j'allais emmener ma promise dans cette maison hantée, tel le preux chevalier dont je rêvais, prêt à affronter mes peurs pour la protéger de ce lieu ensorcelé et dont je gardais en mémoire, comme une vive brûlure, l'apparition à laquelle il m'avait semblé assister.
L'excitation se mêlant à une certaine peur provoqua en moi une terrible appréhension quand Isabelle et moi nous nous retrouvâmes face à la vieille demeure.
Mais je ne pouvais défaillir en présence de ma dulcinée, chose inimaginable pour le petit chevalier imaginaire que j'étais !
D'un pas que je voulais assuré, je l'entraînais donc à l'intérieur de la bâtisse, nous faufilant par l'entrebâillement que mes camarades et moi avions créés la première fois.
Mon cœur battait à tout rompre, enveloppant ma tête d'une brume de frayeur et de crainte mais que la seule présence de mon amie parvenait à dissoudre.

Nous étions là tous les deux, loin de tout, dans un univers de silence pesant et étouffant et de poussière dont l'univers s'étendait des fissures des volets aux murs de chaux dont un trait de lumière révélait les frontières entre l'obscurité et leur royaume.
Seuls, l'un à côté de l'autre, nous regardions sans un mot cet endroit dont le maléfice semblait agir sur nous, non pas en nous effrayant, mais curieusement nous offrait un savoureux mélange de malaise et d'apaisement. Je me dirigeais vers les escaliers, avec cette idée en tête de découvrir enfin si cette apparition était simplement l'œuvre de mon imagination débordante ou si elle était encore là, juste au bout de cette rampe au bois dévoré par les vers.

J'arrivais presque au bas de l'escalier quand je sentit la main de Isabelle venir chercher refuge dans la mienne, comme si la petite prison de chair qu'offrait mes doigts barreaux pouvait la rassurer, la protéger. Je lui jetais un regard interrogateur et elle me répondit par un petit sourire où l'inquiétude et une certaine forme de gratitude étaient mêlées. Je serais mon étreinte sur sa main plus petite que la mienne et dont le simple contact, doux et chaud, me redonna du courage pour affronter ce moment de vérité.

Je m'imaginais déjà découvrant avec effroi ce visage fantomatique en haut de l'escalier, visage qui probablement ouvrirait sa bouche puis émettrait un cri terrifiant qui me glacerait le sang, me paralyserait sur le champ, permettant au corps de ce spectre avec ses longs bras froid et ses grandes mains osseuses d'attraper le petit bambin que j'étais à présent au fond de moi.

Mais là-haut, je ne vis que le mur du fond, où dansaient les particules de poussières au milieu du rayon magique de la lumière s'infiltrant par les volets en triste état du premier étage.
Je passais le premier sur les vieux escaliers vermoulus qui, grâce au faible poids de nos deux corps enfantins, ne cédèrent pas. A chaque marche gravie, j'aidais Sabine a se hisser à ma hauteur. Après un périple excitant et presque joyeux, nous arrivâmes à l'étage où le sol semblait en bien meilleur état que le reste de la maison, nous fument comme rassuré et émerveillé par la vision qui s'offrait à nous.

Les murs, dont la tapisserie se détachait en lambeaux, lui donnant l'air d'une vieille peau pelant après une trop longue exposition au soleil, étaient recouverts par de nombreux tableaux et d'anciennes photographies aux couleurs passées. Nous restâmes un long moment en contemplation devant ces portraits d'autrefois dont le calme et la sérénité nous offraient un répit dans l'excitation de notre exploration.

Ma compagne m'attira alors vers un petit couloir menant à deux grandes pièces mais auxquelles nous ne pouvions accéder tant les sols étaient en mauvais état. A travers le parquet abîmé nous arrivions à entrapercevoir la pièce centrale du rez-de-chaussée, grâce au peu de lumière que laissait entrer les volets clos.

Si la première pièce n'offrait aucun intérêt, elle était vide et très sombre, la seconde en revanche possédait un seul et unique objet trônant au centre de ce lieu, balayé par plusieurs rayon de lumière et totalement sous l'emprise des poussières volantes, qui semblaient s'entrelacer comme mues par un souffle invisible, une chaise à bascule dont le dossier semblait très haut et les accoudoirs très larges.
Isabelle me tira par ma chemise et retourna sur le palier admirer les œuvres murales. Je m'apprêtais à la rejoindre quand une chose curieuse attira mon regard, que je n'avais pas remarqué au premier abord mais qui pourtant était bel et bien là sous mes yeux : sur la chaise à bascule, il y avait quelqu'un...

Juste au niveau de cette chaise dont je ne pouvais voir que la partie arrière, un trait de lumière déchirait l’obscurité de la pièce, projetant les particules de poussière vers le sol et dessinant une très étrange géométrie des lieux. Dépassant de l’accoudoir gauche, il me semblait apercevoir comme un objet métallique, assez long et plutôt fin, on aurait dit une aiguille à tricoter. Je réalisais alors que là, sur ce fauteuil, dont étrangement il me semblait voir un mouvement de basculement lent, presque imperceptible, mais pourtant bien réel, quelqu’un était assis, tricotant dans un silence presque apaisant.

Je restais là, immobile, mais très étrangement je ne ressentais ni inquiétude, ni frayeur. L’impression curieuse et troublante qu’ici je ne risquais rien, que ma présence était tolérée. Comme si suintant des murs défraîchis, sortant des planchers moisis, des vagues invisibles s’élançaient avec une douceur infinie et une précaution amicale pour enlacer le petit corps fragile que j’étais, m’enveloppant dans une sensation de plénitude où je pouvais me blottir afin d’y recueillir une certaine forme d’affection.

Je me tournais vers Isabelle, occupée à regarder les étranges gravures murales, mais alors que je m’apprêtais à l’appeler, je changeais d’avis, persuadé que la magie de cet instant unique et presque fantasmagorique, serait gâché par toute forme de partage, comme si cet instant gravé à jamais en moi, serait un secret précieux et tendre entre cette dame dans cette vieille bâtisse et le petit garçon que j’étais, que je suis, malgré tout ce que la vie m’aura imposé, pressée qu’elle était de me faire grandir pour m’éloigner de mon intime et inestimable trésor, boite de Pandore qui s’entrouvre enfin, aujourd’hui que la nuit me semble de plus en plus longue et que les matins blêmes se font blessants .

Soudainement pris par une incontrôlable pulsion, j’attrapais ma compagne par la main et sans prendre aucune précaution je l’entraînait dans l’escalier, traversant en un éclair la grande salle du rez-de-chaussée pour nous retrouver dans la cour, hors de toute emprise, où nos rires enfantins enfin se libéraient, s’envolant très haut dans les cieux, tels de fantastiques oiseaux blancs s’enlaçant sous les nuages, les traversant pour se cacher loin de tout regard indiscret.

Arrivés devant chez moi, les visages radieux d’un bonheur partagé, les yeux illuminés par cette joie partagée, nous restâmes là, sans rien dire, reprenant notre souffle, calmant la brûlure de nos petites poitrines dont l’association de l’effort et des rires incessant nous offrait un merveilleux vertige. Les mains sur les hanches, mes yeux n’arrivant plus à se détacher de ceux d’Isabelle, je sentais les pulsations de mon cœur s’intensifier et si à cet instant j’aurais eu l’idée de porter mon regard sous mon petit chandail, je suis persuadé que j’aurais entraperçu ses mouvement sous ma peau.

Isabelle me dit alors qu’elle devait rentrer car il était déjà tard et avant que je ne puisse répondre à cette terrible annonce qui semblait totalement inappropriée tant je désirais que cet instant se prolonge, elle s’avança et déposa un doux baiser sur mes lèvres.
Elle me regarda, me sourit et s’en alla brusquement, me laissant là, incapable de faire le moindre mouvement tant mes membres semblaient lourds et inutiles mais pourtant en moi mon être tout entier n’aspirait qu’à une chose : la rattraper avant qu’elle ne disparaisse au coin de la rue, comme si cet instant jamais plus n’existerait…

2 commentaires:

  1. BONJOUR
    très joli style me rappelant Pagnol et qq lectures de mon enfance
    merci pour ton com sur Margot quE je viens de lire car j'ai été longtemps absente .
    JE reste à l'attente de la suite....

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  2. Merci Lilia pour ces quelques mots et ton passage par-ici.
    A bientôt ici ou ailleurs.

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