lundi 23 mars 2009

Chapitre 3

Chapitre 3

Le Sombre



Après quelques déboires en tout genre, l’un des plus pénible à vivre au quotidien est celui de chômeur, tant ce statut est perçu comme une tare dans la société actuelle.
En perdant son emploi, en réalité on perd bien plus qu’un simple gagne pain, bien plus qu’une simple position sociale sur l’échelle illusoire de valeur, on se perd un peu plus, on sort de la lumière ambiante, rejoignant les ténèbres rassurantes où personne ne peut apercevoir le regard triste et honteux des sombres.

Il existe un monde, une seule société, totalement codifiée, verrouillée par d’innombrables règles et autres codes. Dès que l’on enfreint l’une d’entre elles, les regards se tournent vers vous. Un regard contenant un jugement sans appel, une condamnation et une sentence bien plus douloureuse que n’importe quelle insulte...
Vous n’êtes plus avec eux, comme eux, mais moi, je n’ai jamais été comme eux, comme vous.

Longtemps j’ai joué au funambule avec un réel talent, réussissant grâce à un étonnant sens de l’équilibre à rester en contact de votre monde, mais progressivement, avec le temps et les épreuves, la difficulté à me maintenir ainsi est devenue de plus en plus pénible...
Comme un vieil acteur, ayant trop souvent joué la même pièce et trop longtemps, ne désirant qu’une seule chose : disparaître derrière le rideau et ne plus réapparaître au moment du rappel !
Et la perte de mon emploi a détruit cet ordre établi, ces habitudes de jongleur équilibriste balayées par un vent trop violent, me jetant à terre sous le regard médusé de tant de gens, proches ou pas, me propulsant vers cette forme de marginalité dégradante.

Le fait d’être compétant et productif, d’assumer certaines responsabilités sans jamais flancher ou échouer, gagner la confiance des autres et l’amitié de certains, pour au bout de compte se retrouver à la rue pour une simple question comptable et bien lointaine de toutes considérations humaines, palpables et compréhensibles.
Comme un mal insidieux qui s’introduit dans votre esprit, passant par un sentiment de colère, provoquant une révolte face aux craintes d’un avenir différent et dont la précarité ne peut qu’effrayer, pour devenir au final un véritable sentiment de honte, nous transformant de simple victime à indiscutable coupable….

Le pouvoir absolu de l’argent et des chimères qu’il offre, devient soudainement présent dans chaque acte ou même chaque pensée. De nouveaux combats bien plus concrets et dont l’urgence me plonge dans un véritable parcours douloureux de frustrations permanentes, dont l’intensité me semble trop souvent insoutenable. Ils viennent s’accumuler à ceux en attende de règlements bien plus intimes et personnels, formant un amas indescriptible où la logique et les réponses semblent totalement inaccessibles.

Pourtant chaque jours qui arrive se doit d’apporter une solution, une explication, juste de quoi obtenir un sursis, juste pour pouvoir s’arrêter un instant, juste un instant, pour reprendre son souffle, se sentir vivant et retrouver le sommeil, lâche ami fuyant et sourd, lorsque la nuit tombe sur ma vie…
J’ai découvert avec un dégoût indescriptible que les douleurs et peines provoquées par la perte d’un amour n’étaient rien face aux tourments infligés par cette nouvelle positon sociale.

Cette course effrénée vers l’obtention d’un revenu, cette sensation de faire la charité, juste pour conserver un toit, acheter sa nourriture, semble m’affecter, différemment, mais plus violemment et avec une grande insistance, que la disparition douloureuse de mes parent ou même la perte de mon couple.
Cette sensation me révulse, me semble tellement étrangère et incompatible avec mes plus profondes aspirations, provoquant en moi ce dangereux écarts entre celui que je suis vraiment et ce nouveau rôle que je dois endosser pour obtenir une infime de chance de conserver une forme de stabilité, matérielle uniquement, pour ne pas sombrer définitivement…

Mais je sens que cette nouvelle forme de vie a déjà considérablement modifiée mon existence, parfois de façon très étrange, ainsi le téléphone est devenu un ennemi dont je crains le son de sa voix et dont je ne peux me servir même pour tenter de retrouver une forme de réconfort chez mes amis les plus fidèles, mais également de façon plus logique en modifiant mon comportement, m’amenant à une privation quasi-totale du moindre plaisir matériel…
Mon seul objectif finalement est de retrouver un emploi, juste pour assurer un retour vers une certaine continuité matérielle à mon existence, juste pour revenir vers la lumière tant de fois détestée, juste pour ne plus être le sombre….. que je suis pourtant, au plus profond de mon être.

Je suis le sombre, je ne suis qu'une ombre, je n'existe pas, mais pourtant je suis bien là.
Souvent vous me croisez, mais sans me remarquer, jamais vous ne m'approchez, toujours vous m'ignorez.
Je suis le sombre, seul face au nombre poursuivant mon existence, dans cette vie sans aucun sens, continuant ma quête éternelle, seul bravant toutes les tempêtes, me fondant dans l'immensité de la nuit, pour oublier mes envies.
Je suis le sombre, qu'aucun espoir n'encombre, qu'aucune illusion n'atteint, que la vie fuit sans fin.
Seul je poursuis mon chemin, sans personne à qui tendre la main et que seuls quelques souvenirs, empêchent d'en finir...
Du miroir aux alouettes vers les abysses ténébreuses de la nuit, ma vie n'aura été qu'un étonnant, étrange, fabuleux, douloureux chemin, sans aucune logique ni même d'objectif final, si ce n'est de rester en vie à chauqe aube naissante, de continuer au cas où, mais sans pouvoir précisement nommer le but de cette attente, ni même si elle aura une finalité...

4 commentaires:

  1. Chapitre très intéressant, Juan!
    L'aspect social de ce qu'on perçoit de soi-même et des autres(l'argent, le travail...) montre encore une fois combien la norme est généralisée et tellement bien assimilée. Il ne faut pas être chômeur, comme il ne faut pas être borgne ou unijambiste.
    Mon auteur favori est Michel Foucault, je ne sais pas si tu l'as lu, mais il décrit très bien comment les rapports de pouvoir s'insinuent au coeur des individus pour une autocritique permanente. Comme tu le dis, on perd plus qu'un job quand on est au chômage, car le regard social change. C'est bien dommage. Mais quand tu regardes comment se tissent les liens entre les gens, je suis toujours attristée de constater que la première chose qu'on te demande pour apprendre à te connaître, c'est "tu fais quoi dans la vie?", sous-entendu "c'est quoi ton boulot?", et pas "qu'est-ce que tu aimes faire dans la vie?" ou "qu'est-ce qui te fais avancer?"...
    Voilà, merci pour cette lecture, qui fait réfléchir autant qu'elle est belle à lire.
    Mais un conseil d'amie : continue, ne lâche pas l'affaire!!! Alright?
    A très bientôt, Juan!

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  2. Merci pour ton passage et ton commentaire Marie^^
    Pour répondre à ta question, non je n'ai jamais lu Michel Foucault mais si j'en ai l'occasion j'y jetterais un œil bien volontiers.
    Depuis j'ai retrouvé un emploi mais il reste des traces infimes mais bien présentes encore en moi de cette période pénible...
    Merci du conseil, promis je ne lâche rien^^
    A très bientôt Marie, ici ou chez toi.
    Juan

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  3. Oui, je crois que les périodes difficiles de nos vies laissent des traces. Les regards qui ont changé sur nous ont pour nous changé de façon définitive.
    A très bientôt Juan,
    chinois ou chez toi (et oui, j'ai osé le super mauvais goût! sorry! mais c'est parfois trop tentant!!! tu me pardonneras peut-être!)

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  4. Je dirais même, à très bientôt Marie, chinois ou crétois^^

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