dimanche 17 octobre 2010

Chapitre 12 : Enfant de Lune


Le monde de la nuit est depuis longtemps mon univers.

Non pas cet univers préfabriqué où se bousculent les gens aux portails de ces endroits bruyants, où l'alcool est un ultime rempart face au désespoir et la solitude, pas dans ces lieux où ces regards se cherchent dans la pénombre artificiel afin de combler une envie devenue trop douloureuse, trop pressante et qui au matin levant n'engendrera que regret ou vide.

J'ai vécu dans ces endroits, j'ai connus certains matins brumeux, mais ce n'était pas là ma véritable place, je ne faisais que singer cette vie que je ne connaissais même pas, croyant aux chimères charnelles et leur promesses sans lendemain.

Mon univers est bien plus vaste, invisible pour certains, inutile pour d'autres mais c'est mon royaume, là où mon âme peut enfin se montrer nue sans risquer d'être reconnue ou moquée par ces êtres aveugles et prétentieux.
Juste là sous le regard bienveillant de dame Lune, au milieu de sa cour étoilée et scintillante, je vis enfin...

Parfois s'en vient me rejoindre mon fidèle allié, depuis si longtemps, depuis cette nuit de violence et de larmes, le vent.
Il est mon plus intime ami, lui seul peut à sa guise ouvrir des fenêtres béantes sur mon âme, enfoncer des portes aux barreaux de chair dans mon cœur où sont cachés mes pires tourments, enflammer mon esprit éperdu d'un songe ou d'un parfum pour lui offrir une ultime lueur.

Tempête intime aux yeux rivés vers ces cieux absents où seuls semblent se presser ces lourds nuages, laissant ici où là dans une étroite fêlure apparaître un rayon de Lune, une mince traînée d'étoile vaporeuse à la lumière diffuse et déjà morte.
Clameur du sol quand unes à unes viennent frapper les gouttelettes de pluie, quand pour une seconde, une éternité, je ne m'appartient plus, je ne suis plus, mais où enfin j'existe, sans gravité, m'élevant vers une émotion pure, un amour irradiant, une douleur amante.

D'un automne pluvieux aux couleurs rougeoyantes, aux senteurs de moisissure et aux brumes délicates, à un hiver gerçure aux illuminations nocturnes silencieuses, aux longues étendues d'amnésie et aux glaçantes bises matinales, je remonte le fleuve tournoyant jusqu'à la source de limpidité, pour me noyer une dernière fois dans un remous au pied récif , juste pour redevenir celui que je suis, éternel poisson remontant le courant jusqu'à l'épuisement retrouvant là, tout au bout de la nuit, ce goût de sel Océan dans ces larmes perdues.

Compagnon nocturne des astres immobiles filant et défilant entre chaque soupire à l'écho inaudible, chaque regard songeur au doux son d'un rire plaintif, gémissement échappé de sa cage ensanglantée où entre chaque pulsation un espoir vient à s'échouer, se briser et repartir vers le lointain horizon à l'écume amère.

Folles incertitudes qui me jetaient dehors quand le soir venu, les questions se faisaient trop lourdes, quand les peurs se faisaient vindicatives, et que l'ennui ne suffisait plus à ma souffrance.
Moment d'égarement vers un havre de paix au phare vacillant, incertain et que jamais je n'ai atteins tant les voiles approximatives de mon esquif se gonflant à la force d'un cri, à la puissante d'un rire incompris, se déchiraient soudainement dès que l'aube déversait sa brûlante couverture insensibles aux rêves à peine entamés.

Ombres de vie que tant j'ai cherché à saisir, à garder contre mon cœur meurtri au milieu d'une enfance à la longue échappée nocturne, quand rien ne semblait pouvoir arrêter mes sanglots, ni l'amour maternel si précieux quand la comptine venait à bercer mon âme avide d'insomnie et si coûteux quand dans un dernier souffle il vient à s'éteindre, ni les songes d'un petit lit douillet aux matins cotonneux couleurs chocolat près d'un fourneau au crépitement rassurant.
Instant lunaire découvert au son mélodieux des pleurs de cette femme au jour triste, quand la sourde violence était venu à jamais effacer son sourire amant, assombrissant son doux regard par la crainte quand l'orage grondait d'une voix trop connue.

Leçons de vie douloureusement apprises, quand le maître s'absentait et me laissait seul face au tableau sombre des adultes tyrans, petit homme aux rondeurs innocentes, qui jamais ne réussi à réciter son poème, sans la moindre hésitation ni la grace requise pour espérer que la fois suivante, les rires assassins et les regards apitoyés s'envolent pour se brûler sur l'astre de feu.

Évitant l'espace d'un bâillement songeur, les enfants lunes comme lui, cherchant désespérément l'affection derrière des paupières closes aux cœurs aveugles, mais qui parfois dans la solitude rassurante, un refuge tendresse venait à apparaître, ailleurs dans ces ténèbres qui, elles seules, pourraient enfin dissimuler le timide, l'estropié, le différent et l'incompris, le martyr qui pour seules armes n'avaient que ces hurlements silencieux et ces regards à l'horizon gravillon où le ciel s'étendait à perte de vue sur une marelle de craie que la pluie venait à effacer avant que le dernier lancer ne parvienne à toucher le paradis.

Quand s'en revient mon ami aux caresses frôlement, poussant son manteau nuageux sans se soucier de leur destination finale, en moi le calme s'installe intensément.
Blottit au coin d'un feu aux braises renaissantes où dansent encore ces songes enfantins aux goûts de sanglot et de rire, à l'écoute de la longue complainte rassurante de la fenêtre entrouverte, interstice infime entre les volets grinçants, pour accueillir ce cœur tempête qui tant apaise et enfle de désir mon âme enclume aux ailes brisées d'un souvenir trop insistant où le baptême d'enfant de Lune, nuit magique aux émotions complexes et aux peurs indélébiles jamais ne s'effacera, douloureuse prière inculquée et gravée sur la stèle surplombant mon cœur cimetière.

Ami invisible mais pourtant si palpable qui par une nuit au long cauchemar bien trop réel, vint me recueillir dans ses longs bras et caressant mon visage, essuyant mes larmes endolories, devint mon ami, mon confident quand dame Lune pour le première fois devint mon seul repère dans les ténèbres sourdes et grondantes.
Cette nuit où ma mère m'arracha à mon lit pour m'habiller et s'enfuir avec moi loin de ce père dont la violence venait d'éclater, meurtrissant à jamais l'âme de sa femme, par une gifle au goût de rage, balayant à jamais l'innocence de ce petit fardeau porté à bout de bras par cette femme aux yeux sanglots

Fuite éperdue au milieu de la nuit, nous emmenant loin de cet ogre aux hurlements effrayants, où seul la voix douce et apeurée de ma mère semblait parvenir jusqu'à mon cœur alarmé dans ce tourment incompréhensible mais qui mettait fin à ma douce enfance.
Vent nocturne au souffle réconfortant, témoin protecteur de cette scène au sombres remous qui allaient entraîner ma mère et moi vers les années de terreur despotique où l'ogre aurait trop souvent raison, où la corde invisible de ma pendaison promise allait flotter dans mon esprit désemparé...

Nuit d'automne où d'un seul geste mon enfance s'achevait, ne m'offrant que ce terrible constat sur la brutalité et la violence des grands, que seul mon ami venteux parvenait à contenir encore pour un temps, mes songes et mes espoirs d'enfant.

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