dimanche 17 octobre 2010

Chapitre 11 : Cruelle évidence


A quand remonte ma dernière certitude ?
Je n’arrive plus à retrouver sa trace dans mon miroir aux alouettes, dans ces immenses champs dorés où seul je lançais par poignées ces graines d’espérance sans jamais récolter le moindre épi au doux grain amant, comme si je n’avais vécu que sous le signe de l’incertitude, sous un astre flamboyant mais vide de tout réconfort et de toute compréhension.

Il faudrait que je rebrousse chemin, que je retourne vers le commencement, quand tout n’était que rire et insouciance.
Vers cette vie d’autrefois où je n’étais qu’un petit garçon promenant son innocence jusqu’à l’orée de la sombre forêt où se tapissait déjà le loup au regard intense et aux certitudes nombreuses.
Je l’ignorais encore mais ces premières années déjà dessinait sur le mur de ma destinée ma différence, mon penchant et mon attrait vers les interdits et les découvertes d’autres univers, d’autres formes de célébrations qui ne sied que très peu au tendre monde de l’enfance.

Adolescent ma vie changea par la découverte de certaines musiques, du monde sensuel des filles ou encore celui plus ténébreux des drogues et des amis de circonstances liés aux premiers excès.
Mais mes premiers émois qui déclenchèrent les premières inquiétudes de mes proches, les premières interrogations quand à mon incapacité à m’intégrer dans une pensée bien définie et un chemin trop parfaitement balisé par cette société annihilante et frustrante, je les dois au cinéma.

Aussi loin que je me souvienne mon premier grand choc cinématographique devait être " Le Colosse de Rhodes " de Sergio Leone.
Un péplum diffusé sur une chaîne française et par son côté "historique" mes parents m’avaient autorisé à regarder.
J’avais le droit de regarder même parfois assez tard tous ces films liés à l’Histoire et les nombreux westerns diffusés à cette époque.
Moment de découverte et d’excitation pour le petit garçon que j’étais, ces aventures épiques que je réinterprétais avec mes jouets inlassablement et qui me passionnaient.

Pourtant ce qui m’intriguait le plus étaient ces films que l’on m’interdisait de voir, préférant m’envoyer au lit, mes parents semblaient posséder certains trésors visuels auxquels je ne pouvais accéder.
La nuit venue j’essayais d’imaginer ce dont il s’agissait et cette phrase dans ma tête revenait comme un leitmotiv : « Allez hop, au lit, ce film n’est pas pour toi, c’est pour les grands ».
Des films pour les grands ?
Quels étaient donc ces métrages que l’on m’interdisait, de quoi pouvaient-ils bien parler et que pouvaient-ils contenir de si particulier pour que l’on m’envoie me coucher même de bonne heure…

Je fini par le découvrir  une nuit quand enfin je trouvais le moyen de briser cet interdit.
Je me couchais normalement comme on me l’avait vivement conseillé pour une de ces soirées réservées aux grands. Puis j’attendais patiemment que ma mère regagne le salon.
Je me relevais et venait me poster contre la porte du salon et par l’entrebâillement pouvais découvrir l’objet de cet interdit.
Ce soir là je fis la découverte d’un autre univers, de nouvelles sensations sans vraiment comprendre pourquoi je n’y avais pas accès.

Sur le vieux poste de télévision en noir et blanc passait un film d’épouvante, « La Fiancée du Vampire », une œuvre qui provoqua en moi pour la première fois la sensation de peur, impression désagréable mais pourtant terriblement excitante.
Cette nuit là j’eus énormément de mal à m’endormir, allant même jusqu’à faire un rêve terriblement angoissant qui provoqua cris et larmes que ma mère, comme toujours, su calmer et me ramener vers la douceur cotonneuse où je pouvais m’endormir apaisé et rassuré.
Sans le savoir, ni vraiment le comprendre, ma vie d’enfant venait de changer à jamais.

Enfant j'habitais avec mes parents dans un petit village, Manom, et les commerces où ma mère se rendait régulièrement se situaient dans la ville voisine, Thionville.
Souvent le mercredi, jours où je n'avais pas école, je l'accompagnait faire ses divers achats. Nous avions à peu près trois kilomètres à parcourir à pied afin de nous rendre dans cette ville et ces moments comptent encore aujourd'hui parmi mes souvenirs les plus précieux.
Tenant la main de ma maman, dans mon esprit un signe protecteur de ma part,  je parcourais donc cette distance, traversant le parc ou je passais souvent du temps avec elle, puis la "cité" des cheminots, qui ressemblait à un petit village mystérieux avec ses maisonnettes toutes semblables, et enfin nous arrivions dans le centre ville.

Il y avait là une petite fontaine sur une jolie place devant un grand café, jouxtant un lieu encore inconnu pour moi, mais qui dans un avenir proche, allait être un de mes endroits favoris : le cinéma La Scala !
Un peu plus loin, à une centaine de mètres, se trouvait une petite épicerie espagnole, pays ensoleillé de mes origines, où ma mère connaissant la propriétaire avait pour habitude de se rendre.
A quelques mètres de là se trouvait un bar/PMU où le dimanche matin, mon père avait pour "vice" de venir jouer son tiercé.
Et entre ces deux établissements, se dressait ma cathédrale, le lieu où que j'allais fréquenter assidûment tel un fidèle, ne ratant que très rarement les messes qui étaient dites, vouant un culte sans limite a cette religion particulière et nourrissante pour mon imagination qui allait changer ma vie.
Un ancien théâtre datant 18ème siècle, reconverti en cinéma en 1912, ou s'étalait en grand formant des affiches à jamais gravées dans ma mémoire : le cinéma Rex !

La première fois, je m'en rappel parfaitement, ce fut un beau matin en 1975/76.
J'avais un peu plus six ans et en ce mercredi matin, ma mère se trouvait là, choisissant légumes et fruits sur l'étalage à l'extérieur de l'épicerie, quand mon regard fut attiré par une énorme affiche sur la devanture du cinéma...
Je m'approchais du cinéma et découvrais, mi-horrifié, mi-émerveillé de l'affiche de Frissons (Parasite Murders), avec un gros bandeau blanc où étaient inscrits ces quelques mots : INTERDIT AUX MOINS DE 18 ANS.

Un choc dont je ne suis jamais remis.
Pour la première fois je découvrais une image effrayante mais qui m'attirait et faisait naître dans mon esprit de folles idées concernant l'histoire ce film.
De plus, sous vitrine, juste en dessous de l'affiche s'étalaient plusieurs photos de ce film, m'amenant à imaginer une histoire monstrueuse et sanglante, de vers affamés dévorant atrocement les humains...
Je me tenais là, immobile, lisant et relisant toutes les inscriptions notées sur l'affiche (dont le nom de David Cronenberg, qui m'était inconnu, me poussant à croire que c'était un film suédois !), quand ma mère me tira de mes pensées.

Elle était horrifiée par le spectacle qui s'offrait à mes yeux et tentant de m'expliquer que ce genre de films étaient réservés aux adultes car ils étaient très effrayant et très sanglant.
Ce genre de film était, selon elle, de mauvais films et je devais me tenir à l'écart de ce genre de production...
Mais je ne l'écoutais pas, car dans mon esprit la séance avait déjà commencée et le film fantasmé défilait sur l'écran de mon imagination !
Ce soir là, je mis du temps à m'endormir, revoyant inlassablement cette affiche et ces quelques photos, qui venaient, sans que j'en sois réellement conscient, non pas uniquement de changer mon enfance mais ma vie !

Ainsi donc mes sept années suivantes, je les passais les yeux rivés sur ces affiches géantes, inventant les plus folles histoires (pour le Zombie de Romero je pensais que les flics et les « bickers » faisaient équipe pour massacrer tous ces zombies affamés de chair humaine !) et sombrant peu à peu dans une folle passion vénéneuse dans les bras de ce cinéma horrifique qui me fascinait et m'éloignait doucement de la monotonie ambiante de la vie d'enfant que j'avais...

A cette époque il est impossible pour un enfant ou un adolescent provincial d'avoir la moindre information sur ces films pour adultes et encore moins de voir la moindre image ou extrait, alors que de nos jours toutes les infos sont disponibles via divers média (Internet, TV, magazines) et on entre dans une salle de cinéma en terrain conquis !
Dans mon enfance la censure veillait au bon équilibre de ses chères têtes blondes où les seules valeurs reconnues étaient le travail, la famille et la religion, faisant de chaque sortie au cinéma une véritable aventure, pleine de crainte et d'excitation...

En découvrant l’existence de cet univers fait d’images violentes et dégoûtantes pour l’enfant que j’étais, je quittais définitivement le chemin tout tracé auquel j’étais prédestiné et que m’avaient balisés avec amour mes parents.

Je devenais progressivement une source d’inquiétude pour mes proches jusqu’au délit suprême de refuser de voir le film E.T., pourtant le monde entier se précipitait à son chevet pour l’élever en icône, en merveille destinée aux enfants à travers la planète….tous sauf moi.
Devant la réaction des adultes et le plus terrible, dans le regard de ma mère, pour la première fois jeu la terrible certitude que je venais de provoquer ce sentiment terrible et blessant qu'est la déception.
Je devenais un sujet d’observation, soupçonnait-on déjà mon esprit d’être malade ou vicié malgré mon jeune age ?
La différence est un luxe que seuls peuvent se permettre les fous et les excentriques, les poètes maudits où les artistes infréquentables mais certainement le petit garçonnet que j'étais.

Cette différence qui allait devenir et reste mon étendard, ensanglanté de ces nombreux échecs passés et présents mais pourtant contient toute ma richesse, toute ma sincérité et probablement une des portes menant de mon âme.
Différence qui allait devenir au fil du temps une arme infaillible quand le temps des conquêtes amantes allait sonner.
Ces filles qui en moi découvraient émerveillées d’autres horizons, d’autres univers à la fois étonnant et excitants, allaient pourtant sceller définitivement mon sort.
Si cette différence était source d’attirance, elle finissait toujours par engendrer des flots de craintes et de déception.

Comme une implacable vérité, une cruelle évidence, je n’étais pas celui qu’elles espéraient, je ne jouais pas un rôle, j’étais exactement ce lui qu’elle découvrait mais cette vison une fois le charme passé devenait une tare, une immondice au regards des autres et de cette société prêchant à tour de bras l’uniformité et l’obéissance aveugle.

J’ai longtemps crut que cela resterait une force, que tôt ou tard la vie m’apporterait son approbation et me permettrait de trouver un équilibre, un compromis, un simple sursis dans le regard de l’autre.
Peine perdue, quand la passion cessait de harceler les esprits et les corps, chacun s’empressait de se fondre dans la masse silencieuse et obéissante.

Ces lieux, où se tassaient ces couples officiels, que j’ai essayé de fréquenter, où je n’ai fait que me perdre et endosser un rôle incompréhensible pour moi, où mon âme jour après jour était bafouée, où ce semblant de normalité et de répétitions menant l’amour par de lourdes chaînes, ne faisait qu’un peu plus m’entraver et déchirer la fragile pellicule renfermant mon cœur amant.

J’ai essayé de tout mon être d’être comme eux, comme la plupart d’entre vous, mais je n’ai fait que me perdre, sentant un peu plus le souffle morbide de ces lourdes ailes sombres, m’approchant inexorablement vers cette fin indolente où je n’étais rien, sans la moindre valeur.
Longtemps j’ai pensé que ma différence me sauverait mais aujourd’hui elle ne m’a offert que cette terrible certitude.

Je n’ai été qu’un piètre fils, un piètre frère, un piètre amant, un piètre ami, cruelle évidence qui dans un moment de lucidité inonde mon esprit, déchire mon cœur et brise tout espoir naissant dans mon âme à l’abandon.
Sinon comment expliquer ces nombreux échecs, ses amours défunts et cette vie où je ne possède rien, où je ne suis plus rien ?

Aux premières lueurs de ma vie, sans trop le savoir, ni le comprendre, je scellais déjà ma destiné dans cette différence, source intarissable de déception et regrets que j’allais affronter nuits après nuits, vies après vies, dans le regard de l’autre…

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