dimanche 17 octobre 2010

Chapitre 14 : Eternel perdant


Un samedi comme un autre, avec ses festivités semblables à tant d'autre et pourtant différent, surprenant mais n'apportant que son lot de confirmation et de certitudes.
Juste une soirée comme tant d'autres, au milieu d'une foule s'amusant, dansant au rythme d'une sono puissante, avec ses gens esseulés au bar faisant et défaisant leur avenir dans des volutes de tabac et des brumes alcoolisées.
Une nuit qui s'annonçait distrayante tout au plus mais qui au final s'avéra particulière car dame chance, maître hasard avaient décidés qu'il était temps que cesse certaines habitudes pour les remplacer par d'autres.
Cette fille que je croisais les lundi matin allait entrer dans ma vie, Stéphanie allait s'immiscer dans mon cœur...

Samedi soir, aux premières heures d'un printemps qui fit long à venir, un concert était annoncé dans un caveau d'une ville voisine.
Enjoy the Division, un groupe reprenant les standards les plus connus de New Order et surtout Joy Division, était en tête d'affiche.
Étant un fan du groupe de Ian Curtis, je décidais de m'y rendre avec un couple d'ami eux aussi appréciant ce style de musique.
Comme de toute façon je n'avais rien prévu ce week-end là, nous décidâmes de passer une partie de l'après-midi en ville, puis de dîner sur place avant de rejoindre la salle de concert.

Vers 21h00 le caveau était déjà bien rempli et le show ne démarrant que vers 22h, nous primes places sur des tabourets curieusement libres au bar.
Alors que nous dégustions tranquillement un verre, elle arriva.
Je la remarquais immédiatement et quand elle regarda vers l'endroit où je me trouvais elle sembla un court instant surprise mais ses yeux restèrent fixés sur moi, un sourire timide mais pourtant sans équivoque s'échappa de ses lèvres délicates.
Cet alors que je vis qu'elle n'était pas seule...
Mais le plus douloureux était que je ne fus pas vraiment étonné, certes un peu déçu mais tout cela semblait être tellement logique.

Depuis mon premier amour, quand avais-je eu la chance de rencontrer un amour simple, partagé et juste à moi ?
Je ne m'en souviens déjà plus...

A chaque fois j'étais simplement une pièce rajoutée, un passager de la pluie, l'avant dernière station, juste celui qui accompagnait ces filles sur la route de l'amour mais qui restait sur le bas-côté quand il fallait sceller l'avenir.
D'une fille attendant le divorce de son amant, de celle qui ne pouvait plus quitter l'existence qu'elle avait construit avec un autre, celle qui le temps d'une pause ou d'un souffle dans son union avaient goûter à certains souvenirs, certains regrets où certaines découvertes dans mes bras.
Mais à l'heure convenue, je ne pouvais faire autrement que de les laisser repartir vers leur vraie existence, restant seul pour affronter mes vieux  démons, messagers impitoyables de ma raison qui, une fois de plus, allaient se repaître des restes de mon cœur, lui infligeant une fois encore de cruels regrets et ses sanglots amers où la souffrance et l'incompréhension s'enlaçant jusqu'aux lueurs de l'aube.

Quand elle se retrouva au bar pour commander des boissons pour elle et son ami, nous échangeâmes quelques mots et dans son regard je vis ce curieux et attirant mélange de timidité et de joie. Je savais déjà que de cette nouvelle rencontre, un nouvel échec se préparait à cingler mes rêves, de nouvelles douleurs solitaires se tapissaient déjà à l'ombre de mon âme.

En observant son couple je réalisais à quel point je m'étais trompé, combien j'étais loin de toute vérité, depuis si longtemps et si profondément.
Comme si j'émergeais d'un terrible cauchemar au goût et aux saveurs trop réelles que je m'étais égaré de ce qui me paraissait être la plus implacable évidence.
Je découvrais une vérité que j'avais si longtemps cherché sur tant de regard, sur de nombreuses lèvres amantes et assassines alors qu'elle se terrait quelque part au fond de moi, hors de ma vue, tout là-bas vers ces lieux sacrés où l'enfant que j'étais vis encore...

Stéphanie n'était probablement pas malheureuse avec cet homme mais j'avais la certitude qu'elle n'était pas heureuse.
Son regard quelle portait sur moi ces lundi matinaux, ces coups d'œil discrets que j'attrapais à la volée au milieu de cette foule bruyante, ces quelques mots échangés ce soir je les connaissais, je les avaient déjà si souvent croisé, sur d'autres visages, sur ces autres filles qui avaient croisées ma vie.
Mais surtout dans le regard que portait ma mère sur l'enfant que j'étais, ou plus précisément ce qu'il manquait dans celui qu'elle offrait à mon père...

Je compris assez vite que l'existence de ma mère possédait deux pôles visibles et que j'en étais l'un d'eux.
Avec moi la tendresse se mêlait souvent aux rires et dans ses yeux une étrange lueur qui me rendait heureux, j'étais important, je vivais en elle à travers son regard.
Elle me fit découvrir l'existence des larmes de joies qui parfois perlaient sur ses joues au milieu de certains de nos jeux au cœur d'un printemps radieux, m'appris que la confiance était un ciment de l'amour et que chaque instant que nous partagions serait à jamais éternel, vivant, chantant et dansant follement dans nos mémoires.

Avec mon père, il ni avait rien de tout cela...
Je savais qu'il y  avait encore de l'amour entre eux quand parfois nous nous promenions et qu'elle le tenait par la main, quand ils échangeaient un sourire complice, mais ces rares moments semblaient emprunt d'une certaine mélancolie, une retenue naturelle, donnant un goût fade à leur amour couleur pastel.
La flamboyances et l'exaltation les avaient quitté, un jour d'automne pluvieux ou un matin brumeux d'un hiver glacial.

Mais en réalité, bien avant que la crainte ne s'empare de leur relation, la passion les avait délaissé, comme une corde effilochée qui rassure tant qu'elle est là, mais qui sans la moindre tension ne se brise que rarement soudainement.
Ils n'étaient plus heureux ensembles mais n'étaient pas encore malheureux au point de séparer leur route...

Ma mère trouvait un sens à son existence avec cet homme, travailleur, fidèle, qui lui apportait une sécurité financière et une certaine position sociale, ne goûtant au "bonheur" que dans la présence de ses enfants.
Elle s'était liée à vie avec mon père tout simplement parce qu'elle n'était pas malheureuse, simplement pour ne pas être seule face aux difficultés de la vie.
Ils vivaient un amour travestit, modifiant l'essence même de ce puissant sentiment, simplement pour justifier leur union.

A présent je réalise que je me suis trompé sur celui que je voulais devenir, celui que je croyais être.
Je me suis battit le plus loin possible de l'ombre de mon père, de cet ogre hurlant et égoïste qui ne réalisait plus la chance qu'il avait de vivre aux côtés de sa femme, ne la considérant plus comme une chose rare et précieuse dont il aurait du remercier les Dieux d'avoir accepté qu'elle reste avec lui.

Ma mère préféra sacrifier son bonheur juste pour que je puisse être heureux dans cette famille, que leur couple avait fondé sur des bases vacillantes.
Mais c'était sa plus terrible erreur.
Je ne fis finalement que de tenter de servir de substitut à cet amour mort et défiguré, ne m'amenant que sur le chemin de la culpabilité qui aujourd'hui encore, vit au fond de moi.
Les habitudes, et la certitude que tout cela ne pouvait changer,avait à jamais transformé en cet homme que j'appris à détester au point de vouloir gommer, détruire en profondeur toute ressemblance avec lui.
Je ne voulais pas qu'un beau matin en me réveillant que celle que j'aimerais puisse avoir pour moi le même regard que ma mère avait pour mon père.
C'était là, la vérité, ma vérité !

Mon cheminement amoureux semblait d'une clarté frappante, d'une logique cruelle et blessante tant j'avais échoué dans ma tâche, allant même jusqu'à m'aveugler avec ma dernière compagne, en m'accrochant à un regard où depuis trop longtemps je n'existais plus, me laissant lentement mais inexorablement happer par cet amour travestit dont la plupart des couples se contentent.
Comme si des biens matériels, des enfants où de vieux souvenirs pouvaient rendre véritablement heureux deux personnes formant un couple.
Cette équation était tout simplement fausse et bien trop souvent arrangeante.

Tout cela les empêchait tout simplement de devenir malheureux...
Le véritable amour est ce qui relie intensément et profondément deux êtres, une passion qui ne peux se satisfaire de simples calculs de chimistes pour justifier sa disparition, un état permanent de manque aux effets variables mais dont les flammes ne peuvent se muer sans conséquence en de simples braises.
Quand le regard de chacun conserve ce désir de vivre ensemble, alors le reste n'est plus un simple alibi ou une vulgaire justification au prolongement de leur vie commune, mais un véritable ciment pour un peu plus célébrer cet amour.

Longtemps j'ai espéré réussir à vivre ces instants fabuleux mais au final je n'étais qu'un doux rêveur, il n'y avait tout simplement personne pour faire durer ce songe, personne qui serait seulement à moi...
Durant toutes ces années on me convainquit que j'étais un pessimiste, mais aujourd'hui j'ai la certitude que bien au contraire j'étais un hyper optimiste, frôlant les frontières de l'utopie dont le verre à moitié vide, en fait débordait.
J'avais tout simplement décidé, à l'ombre du couple de mes parents, de ne jamais travestir l'amour, de toujours préserver cette lueur qui me donnait la vie dans le regard de l'autre, même si le prix à payer devait être cette cruelle solitude, cette fatale incompréhension qui faisait de moi un être différent, un banni aux yeux de la triste normalité.

J'avais essayer de me contraindre à cet amour imparfait, travestit et arrangeant, mais je n'avais seulement réussi à éviter d'être malheureux, sans préserver mon bonheur, en oubliant que je n'étais plus heureux.

A trop vouloir aimer, j'étais un éternel perdant...mais je n'avais pas d'autres choix.

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